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Le cas Jekyll, création de François Paris - L'homme seul et son double - Compte-rendu
Deux ans après son premier opéra, le remarquable Maria Republica (1), François Paris revient à l'écriture lyrique avec une œuvre sensiblement différente, qu'il présente lui-même comme « l'exploration de nouveaux territoires du paysage lyrique ». Le résultat, une forme condensée pour baryton et quatuor à cordes que soutiennent l'électronique musicale et la réalisation vidéo en temps réel, est saisissant. Ce bref monologue lyrique (une heure environ), inspiré par le mythe du Docteur Jekyll revisité par Christine Montalbetti, développe avec force et finesse le thème du dédoublement : Jekyll et Hyde bien sûr, mais aussi narration et représentation, parlé et chanté, lumières et ombres...
L’œuvre s’ouvre sur la confession du Docteur Jekyll, relatant ses premières expériences : derrière le ton posé, la déclamation franche, se révèle déjà, insidieusement, une inquiétante étrangeté qu’introduit d’emblée le quatuor à cordes, en un unisson presque parfait. Tout est dans ce « presque »: l'écriture de François Paris joue constamment de l'infime décalage, de ce petit écart qui sépare le quotidien et l’attendu de l’aventure et de la folie. La voix potentiellement multiple du quatuor, décalée encore par le jeu presque imperceptible de l’électronique, se fait souvent presque oublier ; sur scène, à peine éclairés en limite de scène, côté jardin, les membres du Quartetto Maurice, plongés dans leur partition, semblent comme étrangers au drame.
© Pierre Grosbois
Pourtant, ce sont bien eux qui sont à l’œuvre pour induire, par la musique, l’état mental du protagoniste. Rien d’illustratif cependant : au contraire, la musique, en ses mouvements incessants, semble précéder le texte ; elle paraît ainsi agir aussi bien sur la perception du spectateur, harcelant ses oreilles alors qu’il n’a d’yeux que pour la scène.
Jacques Osinski fait s’y mouvoir son unique personnage, le baryton Jean-Christophe Jacques, qui est pleinement, physiquement et vocalement, l’homme du rôle. Ses déplacements d’un point à un autre du plateau à peu près nu sont autant des stations du Dr Hyde dont il relate le calvaire : il s’y confronte chaque fois à son double envahissant, que le texte fait surgir en même temps que les caméras de Yann Chapotel.
La capacité d’invention poétique du vidéaste a souvent été saluée pour son travail auprès de l’ensemble Le Balcon (notamment un diptyque réunissant Avenida de Los Incas 3518 de Fernando Fiszbein et Lohengrin de Salvatore Sciarrino au Théâtre de l’Athénée (2), déjà dans une mise en scène de Jacques Osinski, plus récemment dans Donnerstag aus Licht de Stockhausen). S’il y a bien ici quelques facilités (quelques trop évidents flash-back qui sortent un peu l’action/narration de son intrigante ambiguïté), il livre de nouveau quelques images saisissantes, dont cette superposition — en léger décalage, toujours — du héros et de son double maléfique ou encore le déploiement, en un style très expressionniste, sur l’écran au centre de la scène, des actes infâmes de Hyde, dont on ne sait plus s’ils sont remémorés ou fantasmés. Pari difficile que cette scénographie incisive comme le texte de Christine Montalbetti, tiraillée entre la scène et l’écran, mais qui contribue, au côté de la musique de François Paris, à la réussite de cet objet lyrique surprenant inscrit dans la saison de l’Arcal (2)
Jean-Guillaume Lebrun
(1) www.concertclassic.com/article/maria-republica-de-francois-paris-en-creation-lopera-de-nantes-une-reussite-lyrique-forte-et
(2) www.concertclassic.com/article/avenida-de-los-incas-3518-et-lohengrin-lathenee-le-balcon-entre-reve-et-folie-compte-rendu-0
(3) www.arcal-lyrique.fr
François Paris : Le Cas Jekyll – Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, vendredi 9 novembre 2018 ; reprise le vendredi 7 décembre 2018 (à 20h) à l’Opéra de Nice dans le cadre du festival Manca (bit.ly/2BMP7M0), puis au Théâtre 71 de Malakoff les 6, 7 et 8 février 2019 (www.theatre71.com)
Photo © Pierre Grosbois
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