Journal
Le Nozze di Figaro à l’Opéra de Marseille – Amour et jalousie – Compte-rendu
Pour sa première à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Marseille depuis sa nomination comme directeur musical de ce dernier, Michele Spotti a choisi Mozart. A l’affiche, pour cinq représentations à guichets fermés, le premier volet de la Trilogie Da Ponte, Le Nozze di Figaro, dans la production signée Vincent Boussard déjà donnée ici il y a cinq ans.
Critique des mœurs aristocratiques, remise en cause de l’ordre social établi, avènement des idées progressistes : l’idéologie véhiculée par Beaumarchais dans sa Folle journée et reprise par le duo Da Ponte/Mozart pour les Noces est intemporelle et universelle. La mise en abyme de l’opéra voulue par le metteur en scène est là pour nous le rappeler. L’action, plutôt inscrite dans un environnement contemporain, se déroule sous les regards de personnages baroques somptueusement vêtus, figurantes et figurants, mais aussi membres de l’excellent chœur de l’Opéra. Leur omniprésence active en fait des fantômes sortis des limbes du XVIIIème siècle venus constater que l’écoulement du temps n’a pas de prise sur les préoccupations des humains. Beaucoup d’élégance et d’originalité dans cet environnement scénique qui, certes, peut parfois troubler, voire même dérouter, mais qui ne trahit en rien le propos de l’œuvre, lui conservant par petites touches, l’esprit buffa qui permit à Mozart, en son temps, de la représenter. Vincent Boussard signe costumes et mise en scène dans des décors efficaces de Vincent Lemaire et avec l’apport des lumières parfaites de Bertrand Couderc.
© Christian Dresse
On le sait depuis ses premières directions marseillaises, Michel Spotti affectionne particulièrement la cité phocéenne, son Opéra et son Orchestre. Et s’il a accepté la direction musicale de ce dernier il y a près d’un an, ce n’est pas pour rien. Les musiciens le lui rendent bien, qui l’accueillent chaleureusement à coups de talons sur le plancher de la fosse à chacune de ses entrées. Une rock star, Spotti ? Presque, mais surtout un excellent maestro qui, par sa lecture des plus intelligentes, permet aux instrumentistes d’offrir une interprétation élégante, colorée, vivante et précise de la partition de Mozart. Et au bout du compte une salle conquise qui réserve sans retenue un triomphe au jeune chef italien à l’issue de la quatrième représentation à laquelle nous assistions avant que l’orchestre n’entame un « happy birthday » en l’honneur de son directeur musical qui a eu la bonne idée de naître à Milan le 1er mai 1993 ! Pareil engouement augure de belles choses …
Hélène Carpentier (Suzanne) & Robert Gleadow (Figaro) © Christian Dresse
Sur scène, une distribution particulièrement homogène donne vie à l’œuvre. Patrizia Ciofi (photo) excelle en comtesse, tant physiquement que vocalement. Sa prestance et son élégance naturelle sont des atouts pour servir le rôle de femme délaissée et trompée par son mari. La voix se livre chaude, riche et ronde; son air « E Susanna non vien !… Vedro, mentre io sospiro… » est pur bonheur. La Suzanne d’Hélène Carpentier a du caractère, un sacré caractère même, et comme la voix est à la hauteur du personnage, précise et puissante, elle fait l’unanimité tout comme Eleonore Pancrazi dans le rôle de Chérubin qu’elle maîtrise parfaitement vocalement, lui procurant une joyeuse et juvénile présence scénique qui fait l’unanimité. Barberine des plus séduisantes, Amandine Ammirati a des qualités vocales indéniables et Mireille Delunsch livre une interprétation vocalement solide de Marceline tout en mettant son sens maîtrisé de la comédie au service de son personnage.
Eleonore Pancrazi (Cherubin) & Amandine Ammirati (Barberine) © Christian Dresse
Le Figaro de Robert Gleadow, s’il est parfait scéniquement l’est un peu moins vocalement. En fait, au soir de la quatrième représentation, il a singulièrement manqué de puissance et, dans la foulée, de projection, le côté étincelant et revendicatif du personnage ayant du mal à être mis en valeur. Jean-Sébastien Bou (photo), qui accrochait le rôle à son répertoire, est un Comte qui semble être plus en introspection qu’en démonstration ; vocalement rien à redire avec une belle ligne de chant et une idéale projection. Les autres rôles masculins ne souffrent pas la critique, Frédéric Caton excelle en Bartolo, tout comme Raphaël Brémard (Don Basilio) et Renaud Delaigue (Antonio). Une mention pour le Don Curzio de Carl Ghazarossian, perché sur son échelle qui anime l’un des plus beaux, et insolite tableau de la production.
Hélène Carpentier (Suzanne) & Jean-François Bou (Le Comte) © Christian Dresse
Au milieu de la nuit marseillaise, c’est le véritable amour qui triomphe sur la scène de l’Opéra. C’est surtout la musique du salzbourgeois et ses interprètes qui font l’unanimité auprès d’un public conquis et singulièrement rajeuni. A l’heure où la culture en général et l’art lyrique en particulier, connaissent une période de crise, afficher complet pour cinq représentations des Noces a Marseille a de quoi mettre en joie. Simple effet Mozart ou tendance plus affirmée ? La suite nous le dira ; la saison prochaine (voir ci-dessous) s’annonce en tout cas particulièrement alléchante.
Michel Egéa
Photo © Christian Dresse
Ernest Reyer (1823-1909), dans le magazine satirique L'Assiette au beurre du 27 sept. 1902 © Gallica
2024/2025: la saison du centenaire à Marseille
Détruit par un incendie en 1919, le grand théâtre de Marseille renait de ses cendres en 1924 sous la forme d’un opéra. C’est le Sigurd de Reyer, compositeur marseillais rappelons-le, qui inaugure la scène… Il était donc logique que cette épopée soit à l’affiche de la saison du centenaire avec Norma, Madama Butterfly, Rusalka, Orfeo, Le Trouvère et le Requiem de Verdi. Une série de concerts est aussi au programme. A découvrir sur opera.marseille.fr
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