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Markus Poschner, Truls Mørk et l’Orchestre philharmonique de Radio France – Schubert réveille l’automne – Compte rendu

 

La musique de Chostakovitch peut souvent se lire comme un journal intime, où la musique transcrit l’état de l’âme du compositeur, avec ce qu’il faut de secret pour ne pas se dévoiler imprudemment mais avec cependant une certaine audace. Dans le Deuxième Concerto pour violoncelle (1966), l’impression de malaise naît du décalage presque constant entre la partie soliste, grave, méditative, nostalgique, s’exprimant en longue lignes mélodiques, et l’orchestre, fragmenté, souvent péremptoire sinon brutal. À l’écoute de Truls Mørk, soliste de ce concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, c’est une vision très intérieure et mélancolique qui domine ; les tourments ne semblent pouvoir s’apaiser que par le chant le plus beau. On retrouvera les mêmes dispositions, en bis, dans le Largo (Declamato) initial de la Suite pour violoncelle n° 2 de Britten, qui sonne ici comme un post-scriptum au concerto de l’ami Chostakovitch (les deux œuvres sont créées à quelques mois d’intervalle par Mstislav Rostropovitch).

 

© Truls Mørk © Johs Boe

 
Oiseau mécanique et Schubert métamorphosé

 
Pour le coup, la direction de Markus Poschner (photo) accentue de façon peut-être excessive le contraste entre le soliste et l’orchestre. Certes, il y a bien dans l’écriture de Chostakovitch ces couleurs aigres des bois, une certaine rhétorique mécanique dans l’accompagnement, mais le chef force le trait, escamote toute nuance. C’est un peu le même reproche que l’on peut faire à sa lecture, en ouverture de concert, de strange bird – no longer navigating by a star de Clara Iannotta, co-commande de Radio France et du Festival d’automne donnée en création dans sa nouvelle version. Comme vacant lot (strange bird), créé en janvier dernier par l’Ensemble Intercontemporain (1), cette pièce d’environ un quart d’heure juxtapose des moments plus qu’elle ne trace de chemins.
 

Clara Iannotta © Anne-Elise Grosbois

L’écriture bruitiste de la compositrice italienne est saisissante ; la séquence d’ouverture, en particulier, impressionne (grésillements de la guitare électrique, embouchures frappées des cuivres, polyphonie des appeaux disséminés dans tout l’orchestre). Mais la direction essentiellement métronomique du chef laisse chaque séquence comme close sur elle-même. L’ « étrange oiseau » de Clara Iannotta – qu’elle emprunte, comme toujours, à un texte de Dorothy Molloy (2) – s’envolerait-il un peu plus avec quelques débordements ? Il n’est pour le moment que le rossignol mécanique d’Andersen.
 
Puis vint Schubert. Markus Poschner paraît métamorphosé. Son interprétation de la  Neuvième Symphonie (la « Grande ») est enlevée de bout en bout. Les musiciens répondent à chaque inflexion de sa direction très expansive, les cordes se répondent, les trois trombones, postés au côté des timbales, sobres mais bien présentes, se font le moteur vibrant de l’œuvre. Markus Poschner transmet à ses solistes (dont le hautboïste Olivier Doise, impérial, la flûtiste Mathilde Calderini et le clarinettiste Jérôme Voisin) un élan irrésistible. Chaque reprise vibre d’un éclat neuf. La musique vit, respire – enfin !
 
Jean-Guillaume Lebrun

 

Paris, Maison de la Radio et de la Musique, 16 novembre 2024
 
(1)  www.concertclassic.com/article/lensemble-intercontemporain-celebre-les-80-ans-de-peter-eotvos-les-aventures-du-son-compte
 
(2) www.concertclassic.com/article/portrait-de-clara-iannotta-par-lensemble-intercontemporain-la-musique-espace-vecu-compte

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