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Matthias Pintscher et l’Ensemble Intercontemporain – Les adieux - Compte-rendu

 

 
Les dix années de Matthias Pintscher à la tête de l’Ensemble Intercontemporain resteront dans les mémoires. Ce dernier concert, magnifique variation sur le thème de l’effacement, y contribuera  sans doute beaucoup pour le public qui remplissait la Salle des concerts de la Cité de la musique. Au programme : quatre œuvres majeures, qui résonnent avec l’histoire de l’ensemble et où se mesure le degré de complicité atteint par le chef et ses musiciens.
 
Dans les Cinq pièces op. 10 de Webern, dont l’encre semble encore toute fraîche plus d’un siècle après leur composition (1913), la direction de Matthias Pintscher se fait attentive à l’intensité expressive de chaque instrument. Comme récemment dans les Altenberg Lieder de Berg (1), mais de façon cette fois pleinement convaincante, il conduit la musique sans forcer le drame, laissant les silences et les résonances dessiner les contours vertigineux d’une musique en invention permanente, souvent au bord de l’abîme. Cette esthétique webernienne a nourri, on le sait, les recherches de nombreux compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle ; elle hante encore le XXIe, comme le montre la création de Mark Andre, Dasein 1. Le compositeur est depuis longtemps un compagnon de route de l’Ensemble Intercontemporain, et les liens se sont encore resserrés sous le mandat de Matthias Pintscher, avec qui il partage, de son propre aveu « des préoccupations spirituelles » qui se retrouvent dans une musique fortement marquée par l’introspection.
Dasein 1, comme généralement la musique de Mark Andre, est une musique exigeante, qui avance sans regarder derrière soi, à la fois mathématique et incarnée. L’œuvre semble une sorte d’aboutissement des recherches du compositeur. Portée par le souffle –  celui d’un ensemble où dominent les vents, amplifié, interpolé par les traitements électroniques des instruments et les voix enregistrées des musiciens eux-mêmes –  elle se révèle, jusque dans sa démarche fragile, instable, bien plus charnue et sensuelle, par exemple, que wohin, pour harpe et ensemble, créée il y a deux ans.
 

Aves Sophie Burgos dans les Quatre chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey © Quentin Chevrier
 
Le changement de style et d’atmosphère est flagrant avec Lichtbogen (« arches de lumière ») de Kaija Saariaho. Dans cette œuvre de jeunesse, inspirée par la contemplation d’une aurore boréale, premiers pas de la compositrice dans le traitement électronique en temps réel, la musique se déploie en réverbérations successives. Son interprétation prenait une dimension toute particulière, tout juste une semaine après la disparition de la compositrice finlandaise, dont le chemin a souvent croisé ceux de l’Ircam et de l’Ensemble Intercontemporain ; les neuf musiciens de l’ensemble se sont littéralement jetés dans cette œuvre incandescente.
 
Portée par les trois œuvres qui ont précédé, la dialectique de la mémoire et de l’éphémère est au cœur des Quatre chants pour franchir le seuil, œuvre ultime, testament et aboutissement de la musique de Gérard Grisey (1946-1998). Cette méditation sur la mort est aussi une ode à la vie : jamais la musique n’y apparaît figée – sombre, oui, mais vivante, en constante promesse d’éruption. La voix puissante, ronde, débordant de vie de Sophia Burgos s’inscrit parfaitement dans la lecture de Matthias Pintscher, qui fait de ce chant d’adieu un hymne à la musique de l’avenir. Le chef semble laisser en confiance le soin de la défendre aux musiciens avec qui il a partagé une aventure de dix ans (2). Après le concert, les musiciens salueront encore le départ du corniste Jens MacManama, qui a donné, avec l’opus 10 de Webern, son dernier concert avec l’Ensemble Intercontemporain, 44 ans après y avoir été recruté par Pierre Boulez. En un beau clin d’œil, Jens MacManama, pédagogue reconnu, dirige quelques-uns de ses élèves du Conservatoire de Paris dans Initiale, pour septuor de cuivres, de Boulez. Au-delà des adieux, la musique continue de couler vers de nouveaux horizons.
 

Jean-Guillaume Lebrun
 

 Paris, Cité de la musique, vendredi 9 juin 2023

 
(1) www.concertclassic.com/article/matthias-pintscher-et-lensemble-intercontemporain-la-biennale-boulez-naviguer-sur-les
(2) www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-un-compositeur-contemporain-matthias-pintscher-communiquer-la-musique

Photo © Quentin Chevrier
 

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