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Mitridate, Re di Ponto de Mozart au Théâtre des Champs-Elysées - Le roi est seul - Compte-rendu

Vaincu par Pompée, le roi du Pont Mithridate passe pour mort. Aussitôt, ses deux fils, Pharnace (favorable aux Romains) et Xipharès (fidèle à l’Asie) se disputent non seulement son trône, mais aussi la main de sa fiancée. Cependant, Mithridate a lui-même fait courir le bruit de sa disparition: le voilà qui revient, et il n’est pas content…
Bien qu’il ait été précédé par Leopold Hager (dont il existe trois témoignages enregistrés), c’est Nikolaus Harnoncourt qui, avec sa fulgurante lecture en compagnie de Jean-Pierre Ponnelle, a véritablement prouvé, dès 1983, que Mitridate faisait partie des chefs-d’œuvre mozartiens.
 
Premier et seul véritable opéra séria d’un Mozart encore adolescent (il n’a que quatorze ans lorsque l’ouvrage voit le jour à Milan, le 26 décembre 1770), Mitridate a en effet pâti tout au long du XIXe et du début du XXe siècle de la désaffection qui frappait le genre : on n’imaginait pas qu’un opéra composé d’une succession de récitatifs (dont plusieurs accompagnés par l’orchestre) et de 22 arias (presque) da capo, ne comportant aucun autre ensemble que le duo et le « chœur » fermant respectivement les actes II et III, écrit pour quatre sopranos (dont deux mâles, à l’époque), un alto et deux ténors, pouvait receler autant de beautés et provoquer d’aussi puissantes émotions. La révolution « baroqueuse » est passée par là et, aujourd’hui, le discophile peut choisir parmi une douzaine de versions !
Fidèlement inspiré d’une pièce de Racine (1), le superbe livret d’Amedeo Cigna-Santi assume cependant son statisme tragique, ce qui explique que les productions scéniques de Mitridate restent rares. A Paris, l’ouvrage n’avait pas été vu depuis celle montée par Christophe Rousset et Jean-Pierre Vincent au Châtelet, en… 2000.
L’on attendait donc avec impatience cette coproduction du Théâtre des Champs-Elysées et de l’Opéra de Dijon. Avouons avoir été plutôt déçu.
 
 

© Vincent Pontet

Par la « mise en scène » de Clément Hervieu-Léger, d’abord, à peu près inexistante, au point que l’on s’est parfois demandé si une interprétation en concert n’aurait pas été plus forte. Nous sommes dans un théâtre un peu décati (beau décor très sous-employé d’Eric Ruf), où l’on répète (semble-t-il) le Mithridate de Racine et…
Et rien.
Non, pas même de recours à la sempiternelle mise en abyme du théâtre dans le théâtre – bien qu’un moment, l’on croie comprendre que Mitridate est en fait le metteur en scène d’une action qui ne démarre jamais. Qui sont ces gens, dont certains ressemblent à des réfugiés ou des SDF ? Quels liens les unissent ? Que veulent-ils ? S’agit-il juste d’une transposition de l’intrigue à l’époque contemporaine ? Mystère. Les pauvres « acteurs » en sont réduits, comme si souvent, à s’habiller et se déshabiller, balancer des chaises par terre et chanter bras ouverts face au public. Passons…
 
La lecture comme toujours pleine d’énergie d’Emmanuelle Haïm ne tire pas non plus parti de toutes les potentialités de la partition. Dès l’Ouverture, articulée de façon univoque, on devine ce qui va nous manquer : un art des silences, des contrastes, des nuances, un art, surtout, de la dynamique orchestrale (si importante dans cette œuvre pétrie du style de Sammartini), de la tension/détente qu’Harnoncourt, dès l’Ouverture aussi, poussait au plus haut point. Non qu’on s’ennuie mais l’orchestre ne fait que jouer à côté des chanteurs sans dialoguer avec eux, sans rien exprimer ni provoquer. Ajoutons que les cordes se montrent d’une virtuosité relative (la Marche de l’Acte I) et que le cor solo de l’ineffable « Lungi da te mio ben » fait assez piètre figure.
 
D’un point de vue musicologique, si l’on se réjouit que tous les airs aient été conservés (des coupures ont été ménagées dans les récits et les ritournelles), l’ornementation revendiquée par Haïm apparaît problématique. Rappelons que les ornements ont essentiellement pour fonction de modifier le contenu expressif d’un passage répété. Or, en dépit des apparences, il y a peu de redites littérales dans Mitridate : il n’est donc pas indiqué de « varier » quelque chose qui n’a encore jamais été entendu (par exemple, la dernière partie de l’air d’Arbate) car, si on le fait, on omet purement et simplement une partie de la musique de Mozart !
 De façon paradoxale, ce sont en fait les pages les moins rhétoriques, les moins baroques, les plus évidemment pré-romantiques (comme le second air d’Aspasia, « Nel sen mi palpita ») qui paraissent le mieux convenir au Concert d’Astrée, lequel s’améliore ainsi au fil de la soirée.
 

Myrtò Papatanasiu (Sifare) & Patricia Petibon (Aspasia) © Vincent Pontet

Toutes ces approximations n’aident pas la distribution – a priori habilement composée – à donner le meilleur d’elle-même. Prenons la délicieuse Sabine Devieilhe (la seule à faire dire quelque chose à ses récitatifs) : elle a beau phraser à ravir les airs d’Ismene, les ponctuer d’étincelantes contre-notes et de pianissimi, elle ne parvient jamais, faute d’aide de la part du chef et du metteur en scène, à véritablement incarner un personnage. On fera le même reproche à Myrtò Papatanasiu, voix vaillante bien qu’un peu métallique et monochrome, qui échoue à conférer au rôle malaisé de Sifare - le « bon fils », conçu pour un castrat soprano - le surcroît d’âme qui lui manque.
 
Chant précis et ciselé mais timbre bien mince et émission fort nerveuse, le contre-ténor Christophe Dumaux doit attendre le repentir du vilain Farnace pour enfin nous toucher. Jaël Azzaretti (Arbate) et Cyrille Dubois (Marzio) ne disposent chacun que d’un seul air pour convaincre et si leurs timbres nous ravissent, le second peine dans les redoutables vocalises qui lui sont dévolues. Délaissant progressivement les emplois de soprano léger par lesquels elle avait débuté, Patricia Petibon a réussi à densifier son bas registre mais au prix d’une émission désormais cotonneuse, peu incisive, d’une élocution évasive qui ne la destinent ni au rôle-titre d’Alcina (l’an dernier à Aix), ni à celui, redoutable, de la fière Aspasia.

En revanche, le ténor Michael Spyres, si l’on en juge par ce que l’on connaissait jusqu’alors de lui (le rôle-titre de l’Antigono de Mazzini, par exemple, fort proche de celui de Mitridate) est parvenu à unir ses registres, à timbrer son médium de façon à dompter « Se di lauri », la crucifiante cavatine du roi, aux intervalles inhumains. On ne sait ce qu’il aurait fait de la version la plus connue et la plus dangereuse de son solo final, « Vado incontro », puisque ce n’est pas cette mouture de Gasparini mais celle, plus sage, de Mozart qui a été choisie aux Champs-Elysées. Après son entrée fracassante, Spyres se montre plus prudent et aménage quelques aigus en falsetto – mais avouons qu’il est le seul, au fil de cette soirée, à nous avoir procuré de réels frissons, à nous avoir rendu la chair et le sang de Racine…
Olivier Rouvière

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(1) Lire notre dossier "Racine et l'opéra" : www.concertclassic.com/article/racine-lopera-une-presence-discrete

Mozart - Mitridate : Paris, Théâtre des Champs-Elysées,14 février, prochaines représentations les 16, 18 et 20 février www.theatrechampselysees.fr / reprise (avec la même distribution) à Dijon (Auditorium), les 26, 28 février et 1er mars 2016 www.concertclassic.com/concert/mitridate-de-mozart

Photos © Vincent Pontet

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