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​Picture a day like this de George Benjamin à l’Opéra-Comique – Une incarnation inoubliable – Compte-rendu

 
Picture a day like this, quatrième opéra de George Benjamin et Martin Crimp, semble bien parti pour devenir à son tour un classique de notre temps, comme Written on Skin (2012) et Lessons of Love and Violence (2018), qui poursuivent désormais leur vie scénique au-delà de la production originale de Katie Mitchell. Depuis sa création au Festival d’Aix-en-Provence l’an dernier (1), ce nouveau coup d’éclat du compositeur et du dramaturge britanniques a été présenté sur la scène des théâtres coproducteurs (Covent Garden et l’Opéra du Rhin, en attendant Luxembourg, Cologne et Naples), recueillant au passage le Prix de la meilleure coproduction lyrique européenne décerné par le Syndicat de la Critique.
 

George Benjamin © Matthew Lloyd 

La création parisienne à l’Opéra-Comique confirme l’évidence : George Benjamin et Martin Crimp sont parmi les plus extraordinaires inventeurs d’opéra d’aujourd’hui. Picture a day like this renoue avec la forme et l’esprit du conte que les deux auteurs avaient adoptés pour leur premier ouvrage, Into the Little Hill, en 2006, une commande du Festival d’automne à Paris, resté toujours fidèle au compositeur, et qui a lui aussi fait l’objet de belles reprises (2). On retrouve ainsi dans Picture a day like this le même parti paris de concision (1h15 pour les sept scènes enchaînées) et une action centrée sur le personnage principal, qui se tient dans un temps et un espace indéfini.
 

© S. Brion
 
Une quête initiatique et cruelle
 
Pour autant, et même si les auteurs ont de nouveau fait appel à Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma pour la mise en scène, Picture a day like this n’a rien d’une redite. Into the Little Hill décrivait une longue progression et une chute vertigineuse, traduites par une musique qui est comme un glissement ininterrompu. Ici, la structure du conte, comme celle de la musique, est bien différente. L’histoire, nous la tenons de l’héroïne elle-même, au tout début de l’œuvre : elle a perdu son jeune enfant et ne peut se résoudre à accepter ce deuil. Une femme mystérieuse lui dit alors : « Trouve une personne heureuse en ce monde et prends un bouton de la manche de son vêtement. Fais-le avant la nuit et ton enfant vivra ». De lieu en lieu, c’est une quête initiatique, que son impossibilité rend particulièrement cruelle.
De scène en scène, chaque rencontre est une étape sur un chemin de douleur – et finalement, peut-être, d’acceptation de la condition humaine. Comme la Judith du Château de Barbe-Bleue de Bartók, la Femme de Picture a day like this voit chaque fois l’idée même du bonheur (dans l’amour, dans le travail, dans l’art, dans l’absolu) se souiller et son espoir s’anéantir. Du reste, de même que l’épouse de Barbe-Bleue le supplie d’ouvrir une à une les portes de son château, la Femme réclame inlassablement à ce Collectionneur (scène 6) dont la possession et la contemplation d’œuvres d’art ne peuvent suffire à en faire un homme heureux d’ouvrir « la porte ». Celle-ci ouvre sur un semblant d’Éden, qui se révèlera lui aussi vénéneux (sublime tableau onirique conçu avec le vidéaste Hicham Berrada).
 

© S. Brion 
 
Introduction idéale à l’opéra de notre temps
 
À chaque fois, la situation énoncée, la musique vient s’entrelacer au texte, comme une broderie ou une enluminure. Elle se densifie sans jamais devenir complexe à l’écoute ; Picture a day like this est en cela une introduction idéale à l’opéra de notre temps. Dans la fosse, George Benjamin lui-même fait sonner les vingt-deux musiciens de l’Orchestre philharmonique de Radio France avec un dosage subtil de précision et de spontanéité, indispensable dans une partition où quasiment tous les instrumentistes, du violoncelle au célesta, de la flûte à la trompette, ont des moments solistes ou chambristes ; à l’inverse, certains tutti ont une puissance proprement symphonique malgré l’effectif relativement réduit.
 

© S. Brion
 
Le rôle de la Femme a été écrit – autant dire cousu – sur mesure pour Marianne Crebassa (photo). À l’issue de ce parcours, il est difficile d’imaginer un autre visage et une autre voix pour ce personnage tant la mezzo l’incarne et le fait rayonner, et ce dès la toute première scène, qui est un pari artistique osé et réussi, quand, sortie de l’ombre (après un prologue silencieux) et postée à l’avant de la scène, son chant s’élève a capella : « No sooner had my child started to speak / whole sentences / than he had died » (« À peine mon enfant avait-il commencé à parler / en phrases complètes / qu’il est mort ». La forme même de l’ouvrage multiplie les duos. Celui, presque en miroir, avec Zabelle (la soprano Anna Prohaska) dans la scène du jardin est un chef-d’œuvre du genre, comme les envolées vocalisantes des amants (la soprano Beate Mordal et le contre-ténor Cameron Shahbazi) dans la deuxième scène.
George Benjamin réemploie les mêmes rôles dans des emplois et des contextes complètement différents : ces deux-là reviennent ainsi dans la scène 4 sous les traits d’une compositrice et de son assistant, passant du même coup du feu à la glace. De même, le baryton John Brancy est-il aussi impressionnant dans l’exaltation de l’Artisan (scène 3) que dans la morne douceur du Collectionneur. La mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, magnifique par les images qu’elle produit – telles les gravures d’un livre de contes cruels – a aussi cette rare qualité de donner immédiatement corps et espace aux voix. Ce que l’opéra nous invite à imaginer, par son titre même – Picture a day like this – prend ici une incarnation inoubliable.

 
Jean-Guillaume Lebrun

 

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(1) www.concertclassic.com/article/picture-day-de-george-benjamin-et-martin-crimp-en-creation-au-festival-daix-en-provence-2023

(2)  www.concertclassic.com/article/little-hill-de-george-benjamin-lathenee-dimensions-du-conte-compte-rendu
 
 
George Benjamin : Picture a day like this. Paris, Opéra-Comique, 25 octobre ; prochaines représentations les 27 octobre (15h), 28, 30 et 31 octobre (20h) 2024 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/picture-a-day

On n’oubliera pas, dans le cadre des « Pléiades » proposées parallèlement à la production de Picture a day like this, le récital de Stéphane Degout et Cédric Tiberghien, avec la participation de membres de l’Académie de l’Opéra-Comique (29 oct. ; Debussy, Berg, Benjamin et Ravel), suivi d’un récital de Sabine Devieilhe et Mathieu Pordoy ( 8 nov . ; Liszt, Schubert, Strauss, Boulanger, Chaminade, Tailleferre, Milhaud ...), inscrit dans le cours du week-end « Scènes ouvertes » de Favart.

 
www.opera-comique.com/fr/spectacles/l-amour-du-chant-stephane-degout-et-cedric-tiberghien

www.opera-comique.com/fr/spectacles/l-amour-du-chant-sabine-devieilhe-et-mathieu-pordoy

 
Photo © S. Brion

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