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Portrait de Clara Iannotta par l’Ensemble Intercontemporain – La musique, espace vécu – Compte-rendu
Quatre œuvres de Clara Iannotta (photo) au même concert : il n’en faut pas moins pour dévoiler un monde. Celui que la compositrice italienne, née en 1983, élabore dans sa musique est à la fois dense et fragile – la balance penche un peu plus, d’une œuvre à l’autre, vers l’un ou l’autre de ces pôles. Chaque composition, ou même la reprise et les modifications apportées à une partition plus ancienne, semble élargir toujours ses possibilités expressives. C’est un voyage comme à tâtons dans un espace cependant reconnaissable.
Nicolò Umberto Foron © Anne-Elise Grosbois
L’infime et l’intime
Le concert s’ouvre avec une version révisée de They left us grief-trees wailing at the wall, qui nous plonge in media res : un monde sonore déjà saturé, d’apparence immobile mais d’où Clara Iannotta fait sourdre un rythme paradoxal, un vertige de timbres plus intérieur que véritablement apparent. Le travail sur l’infime s’illustre aussi par les modifications apportées depuis la création de 2020 : une seconde clarinette remplace désormais le saxophone et une partie électronique, finalement assez discrète, est ajoutée. Presque rien donc, mais suffisamment pour bouleverser les équilibres sonores.
Depuis dix ans, le titre de chacune des pièces de Clara Iannotta est tiré de poèmes de l’Irlandaise Dorothy Molloy (1942-2004). Ces éclats de sens sont un guide pour la compositrice comme pour l’auditeur et donnent à l’œuvre toute entière une unité par-delà la diversité des expériences musicales que l’artiste propose. Dans Glass and stone, pour deux pianos, percussions et électronique, donnée en création, elle tente de réconcilier deux mondes : le sien propre – cette musique dense et fragile – et le souvenir de sa mère, récemment disparu et qui n’a jamais aimé sa musique. L’intime y rejoint l’infime. C’est une œuvre étrange où la jonction se fait presque comme par accident, par la rencontre des percussions et d’un son que l’on reconnaît comme celui des projecteurs de diapositives parce qu’il s’accompagne chaque fois d’un flash et de la fugace apparition d’une image dont l’ancienneté est trahie par le grain. Sur l’écran tendu derrière la scène, des mots, des phrases s’énoncent et s’effacent. Les allers-retours de l’écoute et du regard portent la musique sur un terrain expérimental, parfois même maladroitement mais créent un espace autre.
© Quentin Chevrier
Mouvements sensibles
Car l’espace est sans doute ce que la musique de Clara Iannotta travaille le plus intensément. Elle a plusieurs installations musicales à son catalogue dont la dernière, I listen to the inward through my bones, vient d’être créée en l’église Saint-Eustache dans le cadre du Festival d’automne. C’est aussi flagrant dans echo from afar (II), une œuvre de 2022 dont les mouvements, plus amples que ceux de They left us grief-trees wailing at the wall, sont rendus aussi plus sensibles par la clarté de l’instrumentation (flûte, clarinette, percussion, piano, violon, violoncelle et électronique) et par l’interprétation engagée, exemplaire des musiciens de l’Ensemble Intercontemporain.
A stir among the stars, a making way (2020) – toujours un titre emprunté à la poésie de Dorothy Molloy – pousse encore plus loin les jeux de transformation, une lente mue où la permanence – les tenues et les résonances de l’accordéon, de la guitare électrique ou des percussions jouées à l’archet – n’empêche pas les éclosions nouvelles. La direction précise mais un peu rigide de Nicolò Umberto Foron semble manquer d’un petit quelque chose qui transformerait ce territoire aux dimensions multiples en véritable espace vécu.
Jean-Guillaume Lebrun
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Paris, Cité de la musique, 11 octobre 2024
Une nouvelle version de strange bird — no longer navigating by a star sera créée le 16 novembre à 20h à l’Auditorium de Radio France, dans le cadre du Festival d’automne à Paris, par l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Markus Poschner : https://www.festival-automne.com/fr/edition-2024/clara-iannotta-dmitri-chostakovich-franz-schubert-clara-iannotta-dmitri-shostakovich-franz-schubert
Photo © Anne-Elise Grosbois © Quentin Chevrier
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