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The Rape of Lucretia à l’Athénée – Nuit romaine – Compte-rendu
Créé en 1946 à Glyndebourne, un an seulement après le premier grand opéra de Britten, Peter Grimes, The Rape of Lucretia emprunte une voie radicalement différente : celle du théâtre de chambre – voie que le compositeur va poursuivre avec Albert Herring et The little Sweep, comme dans ses « cantates », tels les Five Canticles. Car l’économie de moyens (une douzaine d’instrumentistes, jouant à « un par partie », et huit chanteurs) se double ici d’un rapport particulier à la dramaturgie, qui rappelle la distanciation baroque mais aussi la musique de films, dont Britten avait l’expérience. Ainsi, le décor comme l’action ténue du Viol de Lucrèce se voient-ils décrits et commentés par un Chœur masculin (ténor) et un Chœur féminin (soprano), qui prennent affectivement part au drame sans y intervenir, et font un large usage du récitatif, accompagné au piano.
Un tel dispositif, qui appelle un cadre intimiste, prend place avec beaucoup de naturel dans la bonbonnière de L’Athénée – la proximité du public, parfois directement interpellé par les protagonistes, ajoutant à la force du propos. Pour cette production (déjà donnée en 2007), Laurent Peduzzi a conçu un très simple dispositif scénique : deux parois perpendiculaires mais disjointes, fixées sur une tournette qui, en fonction de sa rotation, ouvre ou ferme l’espace de jeu sur l’environnement nocturne (tout se passe en une nuit), délimitant tantôt un campement militaire, tantôt l’atrium ou la chambre de Lucrèce. Les costumes (de Nathalie Prats) évoquent l’époque de la composition, les généraux romains - assis sur de simples pliants prenant dès lors l’aspect de chaises curules - ressemblant à quelques officiers coloniaux, dont les agissements seraient évalués par d’autres militaires (les Chœurs, composant une commission d’enquête internationale ?). En dépit de sa sobriété, cette scénographie, qui joue à plaisir des ombres portées sur le rouge pompéien des parois, s’avère des plus efficaces – n’était l’inexpérience scénique des chanteurs, issus de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris, qui auraient mérité une direction d’acteurs (de Stephen Taylor) plus poussée.
L’écriture adoptée ici par Britten, véloce, expressive, tantôt syllabique, tantôt chantournée sied idéalement à de jeunes interprètes, dont elle exige beaucoup sans les mettre en péril. Certains s’en sortent avec un évident panache : bravo notamment au Junius tranchant, implacable de Damien Pass, à la Lucrèce intense et profonde d’Aude Extrémo, qui doit cependant se méfier d’une tendance à poitriner, à la Bianca soyeuse de Cornelia Oncioiu ou au Chœur féminin éloquent bien que tendu d’Elodie Hache. D’autres trouvent plus difficilement leurs marques – les vocalises de Lucia surexposent l’acidité de la seconde soprano (Olga Seliverstova) et Vladimir Kapshuk mâchonne encore trop son Collatinus. Le cas de Kévin Amiel, confronté au redoutable rôle du Chœur masculin, apparaît particulier : convaincant dans la fulgurante description de la traversée du Tibre, ce ravissant ténor peine ailleurs à soutenir la justesse, peut-être parce que sa partie appelle une voix plus corsée.
Les instrumentistes du Balcon, ensemble fondé en 2008 par Maxime Pascal (28 ans) et en résidence à l’Athénée, campent des « personnages » à part entière - grillons, chevaux, flots, nuages -, relançant sans cesse une vision scénique qui hésite entre cauchemar et fait divers, sachant aussi habiter les silences et les nombreux ostinatos. Certaines carrures nous ont paru un peu prosaïques (le duo sans paroles de l’Acte I, le Finale) et la harpe sonnait, comme souvent, trop fort, mais l’approche éminemment théâtrale de cet ensemble laisse bien augurer de son prochain projet (… Le Balcon, justement, de Peter Eötvös d’après Genet).
Olivier Rouvière
Britten : The Rape of Lucretia – Paris, Théâtre de l’Athénée, 15 janvier 2014
Photo © Opéra national de Paris Mirco Magliocca
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