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Schoenberg et Feldman à l'Athénée - Pierrot vu du Balcon - Compte-rendu
Mettre en scène Pierrot lunaire est toujours un défi. L'œuvre de Schoenberg, clef de la modernité musicale (« plexus solaire non moins qu'esprit de la musique du XXe siècle » pour Stravinsky) n'est pas spécialement destinée au théâtre. Il faut de plus, alors même que l'on exalte la nouveauté de l'écriture atonale et des idées formelles mises en œuvre – telle l'extraordinaire sombre et abyssale passacaille du huitième des vingt et un mélodrames, « Papillons » –, se confronter à « l'esprit cabaret », qui n'est pas une forme mais seulement un élément du contexte de la création.
Cette production de l'ensemble Le Balcon (dir. Maxime Pascal) qui s'installe en résidence à l'Athénée parvient à une solution intéressante, en se débarrassant le plus possible de tout ce qui qu'une esthétique cabaretière pourrait avoir de poussiéreux. La voix, tout d'abord : on sait l'intérêt de la voie ouverte par Schoenberg avec le Sprechgesang, ce « parlé-chanté » qui tente de faire entrer dans le langage musical les intonations de la voix parlée ; on sait aussi ce que cela a, dans Pierrot lunaire, de caricatural et d'incomplètement abouti, au point que les interprètes successives de l'œuvre ont tiré Pierrot tantôt vers le parlé, tantôt vers le chanté. En confiant le rôle à un homme, acteur et chanteur (Damien Bigourdan), Le Balcon atteint un double objectif : quitter les habitudes établies et – surtout – fusionner davantage la voix à l'ensemble instrumental.
C'est aussi à cela que conduit la sonorisation intelligente des interprètes, la projection sonore étant confiée à Florent Derex. Cette « marque de fabrique » de l'ensemble dirigé par Maxime Pascal contribue à réduire encore les tics faussement expressionnistes dont on pare trop souvent l'œuvre ; elle aide aussi, évidemment, la voix à se mouvoir avec le corps du récitant tout en restant en phase avec les musiciens. Car l'interprétation musicale de l'œuvre n'a ici de sens que dans le contexte d'un spectacle parfaitement cohérent, appuyé sur l'environnement visuel très travaillé dû au vidéaste colombien Nieto. Rarement une telle interaction de l'action scénique et de décors virtuels n'a été aussi élaborée, permettant une interprétation solide de l'œuvre, entre fantasmes et apparitions. Les décors tournoyants de la Messe rouge (onzième mélodrame) sont ainsi un grand moment d'ivresse musicale, visuelle et dramatique.
Après l'entracte, Le Balcon présentait Paroles et musique de Samuel Beckett avec la musique composée par Morton Feldman (1926-1987). Volontairement peu chargée d'affects, à la façon de certaines pièces de John Cage, la musique se prête bien à la lecture radicale proposée par ce « non-spectacle » : assis au premier rang, dos au public, Damien Bigourdan campe un roi solitaire, éclairé seulement d'un projecteur. Sur scène, rien. On devine, derrière le rideau, l'ensemble instrumental – la sonorisation permet d'entendre la musique dans toute sa clarté. Une seule entorse à la radicalité – et c'est dommage – vient à la fin de l'œuvre, lorsque se lève le rideau sur les musiciens, qui d'ailleurs ont troqué leur habit de scène pour un habit de coulisses (ou de ville). Montrer ainsi « l'envers du décor » n'a ici pas vraiment de sens, les musiciens semblant alors n'assumer pas totalement leur rôle souterrain.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Théâtre de l'Athénée, 25 septembre 2013
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Photo : Meng Phu
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