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« Songs and Fragments » & « The Great Yes, The Great No » au Festival d’Aix-en-Provence – De la folie royale à la croisière surréaliste – Compte-rendu

Au théâtre du Jeu de Paume et dans le grand atelier SNCF de la Fondation LUMA à Arles, deux productions contemporaines sont proposées par le festival aixois : « Songs and Fragments » et « The Great Yes, The Great No ». De fascinants objets musicaux hors du commun.
 
Tout commence par un cri. Plongée dans le noir, la bonbonnière à l’italienne du Jeu de Paume sursaute ! Sorti d’on ne sait où, l’homme est là, en slip, longs faux-ongles jaunes posés sur les doigts de la main droite, œil gauche maquillé : le délire peut débuter avec les Eight songs for a mad king » (1969), monodrame de Peter Maxwell Davies (1934-2016) inspiré par le roi George III qui souffrait d’aliénation mentale. Accompagné par les musiciens de l’Ensemble intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse, Johannes Martin-Kränzle prête son corps et sa voix au roi fou.
 

Johannes Martin-Kränzle © Monika Rittershaus

Pendant plus d’une demi-heure le baryton nous entraîne dans son monde halluciné. Sacrée performance scénique, et vocale, d’un artiste qui n’hésite pas à pratiquement se mettre à nu, parfois de façon très crue, physiquement et psychologiquement. Dérangeant ? Pas vraiment. La prestation est mise en scène par Barrie Kosky avec un traitement spatial et lumineux signé par un maître en la matière : Urs Schönebaum.
 

Anna Prohaska & Patricia Kopatchinskaja © Monika Rittershaus
 
Tous deux sont à l’œuvre aussi pour les Kafka-Fragmente confiés à Anna Prohaska et à la violoniste Patricia Kopatchinskaja. De 1987, l’ouvrage de György Kurtag consiste en quarante courts moments dont la puissance intellectuelle est inversement proportionnel à leur durée. Le propos est souvent sombre et totalement émouvant au cours d’un spectacle parfaitement réglé et porté par la fusionnelle entente des deux interprètes. Un univers kafkaïen, pas franchement débridé ni comique, mais un prenant spectacle d’une grande pureté et d’une poésie certaine. 
 
Le lendemain, les crapauds et grenouilles du parc de la Fondation LUMA d’Arles ont accueilli les spectateurs venus découvrir le nouveau spectacle de William Kentridge « The Great Yes, The Great No ». Les liens qui se sont tissés depuis 2021 entre LUMA et le Festival d’Aix-en-Provence trouvent ici une nouvelle concrétisation artistique. Et quelle ! Un « objet » musical multiforme, à l’image du travail de son concepteur et metteur en scène. Le point de départ se situe à Marseille en 1941 lorsque le cargo Capitaine-Paul-Lemerle appareille pour La Martinique. A son bord, des passagers prestigieux qui fuient la France de Vichy : André Breton, Claude Levi-Strauss, Wilfredo Lam, Victor Serge, Anna Seghers. Il embarque aussi les esprits d’Aimé Césaire et de son épouse Suzanne qui avaient fait le même voyage deux ans auparavant, Frantz Fanon, Joséphine Bonaparte, Joséphine Baker, Trotski et même Staline …
 

"The Great Yes, The Great No" © Monika Rittershaus
 
S’ensuit un voyage surréaliste au sens propre du terme au cours duquel le surréalisme est, bien entendu, à l’honneur mais aussi la négritude, l’esclavage, le nazisme, tous les fascismes, de droite comme de gauche, l’art, la vie, la mort bref une avalanche de textes en français, en anglais et langues autochtones africaines. Comédiens, musiciens, et chœur de sept femmes font vibrer un texte foisonnant mais jamais indigeste. Quant à William Kentridge, il organise avec le génie qu’on lui connaît l’environnement idoine pour que passent les messages. Nhlanhla Mahlangu signe une musique foisonnante, captivante, idéalement servie par un ensemble instrumental efficace (banjo, accordéon, violoncelle, piano et percussions) et par les voix sud-africaines. On ne s’ennuie pas une seconde et on oublie même l’inconfort des étroits sièges de plastique, ainsi que la chaleur règne dans la salle. Une chose est certaine, ne pas assister à ce show hors du commun aurait été une erreur.  
 
Michel Egéa
 

Voir les prochains concerts de musique vocale en PACA

« Songs ans Fragments » – Aix-en-Provence,  Théâtre du Jeu de Paume, 6 juillet ; prochaines représentations les 10, 12 & 14 juillet 2024 // https://festival-aix.com/programmation/opera/songs-and-fragments
 
« The Great Yes, The Great No » – Arles, Fondation LUMA, 7 juillet ; prochaines représentations les 9 & 10 juillet 2024 // https://festival-aix.com/programmation/opera/great-yes-great-no
 

 
© Monika Rittershaus

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