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Trompe-la-Mort de Francesconi en création à l’Opéra de Paris - Langueurs balzaciennes - Compte-rendu
Il y a dans la Comédie humaine la matière pour de nombreux opéras. Dans sa somme romanesque, Balzac fait par la voix de ses personnages entendre le mouvement du monde et la musique des humeurs des hommes. Peu de compositeurs pourtant ont relevé le défi de bâtir sur un ouvrage lyrique l’un ou l’autre des romans de ce cycle monumental. Répondant à une commande de l’Opéra de Paris, Luca Francesconi (né en 1956) a choisi le personnage de Vautrin – dit « Trompe-la-Mort » – et les intrigues des Illusions perdues et de Splendeurs et misères des courtisanes pour composer son nouvel opéra, six ans après Quartett d’après Laclos et Heiner Müller.
© Kurt van der Elst
Auteur de son propre livret, véritable remontage condensé du texte balzacien, le compositeur suit de près la trame romanesque et, comme Balzac pour Splendeurs et misères des courtisanes, découpe son ouvrage en tableaux enchaînés relativement brefs (l’œuvre, en deux parties données sans entracte, dure un peu plus de deux heures). Ce n’est cependant pas tant la narration qui préoccupe Luca Francesconi : plutôt que de suivre leurs actions, il invite à surprendre l’état des personnages, changé au fil des scènes par les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. La plus grande réussite de Trompe-la-Mort est sans conteste ce travail de caractérisation par lequel Luca Francesconi sait rester fidèle à l’art de Balzac.
Cela se traduit par une écriture vocale qui joue sur les conventions autant qu’elle s’en écarte. C’est le cas pour le personnage de Lucien de Rubempré, rôle pour lequel Luca Francesconi a pu s’appuyer sur l’agilité vocale du ténor Cyrille Dubois : une écriture très mélismatique quand il s’agit d’évoquer la passion amoureuse du jeune homme pour Esther, courtisane repentie, mais un spectre qui peu à peu se restreint et se fige, comme glacé par la mécanique des intrigues fomentées par Vautrin. De même, pour le rôle d’Esther, le compositeur joue avec tout l’ambitus de la voix, parfaitement timbrée, de la soprano Julie Fuchs.
Avec le rôle-titre, confié au baryton Laurent Naouri( photo), Luca Francesconi regarde un peu plus ostensiblement encore vers Pelléas et Mélisande. Il a en tout cas trouvé son personnage, doté d’une solide présence vocale. C’est en effet par lui que semblent aimantés tous les autres acteurs de cette comédie humaine. Lui, Jacques Collin alias Vautrin, l’ancien forçat dont on voit lors du prologue le travestissement en abbé Herrera, donne le ton, l’éclairage de chaque rôle et de chaque scène.
Les autres rôles, secondaires, sont traités avec un certain goût de la caricature (le baryton bouffe Marc Labonnette en Baron de Nucingen, le fort tempérament de la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon en Comtesse de Sérisy, l’abattage d’Ildikó Komlósi, dans le rôle d’Asie, l’intrigante servante de l’abbé Herrera).
La déception vient plutôt de l’écriture orchestrale. Non pas que les qualités d’orchestrateur du compositeur italien soient jamais prises en défaut. Bien au contraire : son orchestre, luxuriant, est toujours clair - d’autant que l’excellente Susanna Mälkki dirige cette création. Mieux encore : il porte par moments le chant avec ce qu’il faut de mystère (tapis de cordes accompagnant le premier aria d’Esther, rôle subtil des percussions, qui débordent jusque dans les loges d’avant-scène, usage parcimonieux mais judicieux des sons électroniques et des chœurs). Mais ce tissage minutieux manque le plus souvent d’invention et, pour tout dire, prive l’œuvre de relief.
La mise en scène de Guy Cassiers convoque quelques très belles idées. Des écrans-kakémonos, descendant des cintres et traversant l’espace scénique de haut en bas, renvoient l’image diffractée, comme en lambeaux des espaces du Palais Garnier, sa scène, ses foyers, ses coulisses, ses entrailles. Les portraits vidéo en gros plan, filmés en direct, se justifient aussi : on voit ainsi la transformation de Vautrin/Jacques Collin en abbé Herrera lors du prologue ; on voit aussi rayonner la beauté d’Esther, ce « portrait que Titien eût voulu peindre » selon les mots de Balzac. S’il a raison d’ancrer sa scénographie dans les méandres du livret – qui relève plus d’une construction philosophique que purement narrative – le metteur en scène accentue ainsi le caractère languissant de l’action dramatique. Dans cette tragédie des apparences, la symbolique de personnages à qui il manquerait une dimension (tous, à l’exception de Lucien, Esther et Herrera, semblent mus – horizontalement – par un mouvement extérieur) est forte. Mais la représentation semble du même coup manquer de profondeur et de vie. Au final, Trompe-la-Mort est un opéra qui s’observe plus qu’il ne se vit.
Jean-Guillaume Lebrun
Francesconi : Trompe-la-Mort (création mondiale) - Paris, Palais Garnier, 16 mars ; prochaines représentations les 25, 30 mars, 2 et 5 avril 2017 / www.concertclassic.com/les-prochains-concerts?fulltext_search=TROMPE_LA_MORT&field_event_date%5Bdate%5D=
Photo © Kurt van der Elst
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