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Une création de Thierry Pécou à l'Abbaye de Noirlac - La liturgie comme acte théâtral - Compte-rendu
La création musicale n'est pas nécessairement une expérience solitaire, et avant même d'écrire il faut parfois savoir écouter. Compositeur très proche de ses interprètes – et interprète lui-même, au sein de l'ensemble Variances –, Thierry Pécou sait combien le dialogue peut-être source d'inspiration. Il a fait, du reste, du dialogue entre les mondes et leurs cultures l'un des signes distinctifs de sa musique.
Pour le festival « Les Traversées », Paul Fournier, le directeur de l'Abbaye de Noirlac, et Patrick Cohën-Akénine, directeur artistique de l'ensemble Les Folies françoises, lui ont demandé de prolonger les Lamentations de la Semaine sainte d'Alessandro Scarlatti par l'écriture d'un Miserere à trois voix. S'il reconnaît lui-même être assez éloigné de la spiritualité chrétienne, Thierry Pécou a trouvé dans la théâtralité de ces pages écrites il y a près de deux siècles et demi de quoi nourrir sa propre dramaturgie, construite sur le texte latin du Psaume 50.
Une mise en musique sincère des textes sacrés qui ne relève cependant pas exclusivement de l'exercice spirituel : la démarche de Thierry Pécou se retrouve ici très proche de celle que Patrick Cohën-Akénine souligne chez Scarlatti. Chacune découpée en séquences aux couleurs instrumentales et aux contours rythmiques variés, les trois Lamentations figurant au programme des Folies françoises est en soi un acte théâtral. Les vocalises qui ouvrent chacun des versets rappellent à quel point les frontières entre musique liturgique et opéra pouvaient être aisément franchies.
Avoir confié ces Lamentations à trois jeunes sopranos différentes confirme encore ce parti pris par Patrick Cohën-Akénine : les nuances de timbre – plus clair chez Laura Holm, plus sombre et dramatique pour Eva Zaïcik, d'une humanité naturelle et fragile chez la colorature Dania El Zein – créent une véritable dramaturgie à trois voix.
Le Miserere de Thierry Pécou s'appuie justement sur ces trois voix complémentaires, ainsi que sur les six instrumentistes des Folies françoises (quatuor à cordes, théorbe et orgue). Le texte du psaume est ainsi diffracté – soit que les sopranos le chantent dans des timbres et des hauteurs différents, soit qu'elles s'approprient chacune un mot ou une phrase – sans que jamais cela ne nuise ni à son unité ni à son intelligibilité. La musique, qui ne joue jamais l'imitation du baroque, s'en rapproche néanmoins par moments, par exemple lorsqu'elle réinvente une forme de basse continue. Le rôle dévolu à l'orgue y est très important, Thierry Pécou grossissant – comme à la loupe – la fonction de jonction entre les séquences qu'il avait chez Scarlatti. Enfin, en faisant participer le public à certains moments, Thierry Pécou renoue avec une certaine tradition de la musique liturgique – où il décèle certaines traces encore présentes de paganisme – ainsi qu'avec la volonté, un peu oubliée parfois, d'une communion du compositeur avec le peuple des églises et des théâtres.
Ce programme, soutenu par la « Fabrique nomade », une initiative de France Festivals, sera redonné le 31 août à l'occasion du Septembre musical de l'Orne, puis le 5 octobre dans le cadre du festival Contrepoint 62, avant d'être repris par d'autres festivals l'an prochain. Car, au-delà de la création d'une œuvre et de sa reprise, c'est bien la diffusion d'une programmation innovante, élaborée avec passion et minutie par le festival hôte, les interprètes et le compositeur, qui doit être encouragée.
Jean-Guillaume Lebrun
Bruère-Allichamps, Abbaye de Noirlac, 6 juillet 2013
Les Traversées, rencontres musicales de l'Abbaye de Noirlac se poursuivent jusqu'au 20 juillet 2013.
> Lire 3 questions à Thierry Pécou (juin 2013)
> Lire la rencontre avec Thierry Pécou (avril 2010)
Cinéma Le Balzac : www.cinemabalzac.com
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Photo : Guy Vivien
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