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​Une interview de Michele Spotti, directeur musical de l’Opéra de Marseille – « Marseille est l’opéra le plus italien que j’ai jamais rencontré hors des frontières de mon pays natal »

 

Directeur musical de l’Opéra de Marseille depuis 2023, le jeune chef italien Michele Spotti vient de diriger avec un grand succès quatre représentations de Norma. (1) Âgé de 31 ans, il s’affirme désormais un peu partout en Europe construisant peu à peu son répertoire pour le plus grand bonheur de ceux qui lui font confiance. Rencontre.
 
 
Au soir de la première de Norma le 26 septembre, à votre retour au pupitre après l’entracte, vous avez reçu une ovation exceptionnelle ; un moment très rare. Comment l’avez-vous vécu ?
 
Comme une reconnaissance de la qualité du travail effectué par les musiciens et par moi-même mais aussi comme le témoignage de l’adhésion du public à ce travail. Le travail du chef d’orchestre c’est aussi de faire participer le public à l’action que l’on est en train de vivre. J’aime le public et c’est un beau cadeau que m’ont fait les marseillais, à moi mais aussi aux musiciens, aux choristes et à toute la distribution.
 
Qu’est-ce qui a motivé votre arrivée à l’Opéra de Marseille en tant que directeur musical ?
 
La qualité de l’orchestre, en premier lieu. Lorsque j’ai entendu les quatre ou cinq premières mesures de Guillaume Tell (dirigé par M. Spotti en octobre 2021 ndlr) (2) j’ai commencé à me dire en moi-même « ok, il y a quelque chose de vraiment spécial dans cet orchestre ». Je suis tombé amoureux du théâtre, de l’efficacité du travail qui y est effectué par les équipes qui le font vivre. Je pense que c’est l’opéra le plus italien que j’ai jamais rencontré hors des frontières de mon pays natal. Comme en Italie, ici on a un grand sens pratique, on est très concret. J’ai dirigé Guillaume Tell à Marseille pendant la crise du covid, c’était une situation très compliquée, notamment avec l’installation de l’orchestre au parterre. J’ai pu apprécier une grande collaboration entre les services et, surtout, j’ai rencontré des gens qui aiment vraiment l’opéra. Si vous y ajoutez la qualité de l’orchestre vous comprenez pourquoi j’ai accepté le poste de directeur musical.

 

Angelique Boudeville & Enea Scala dans Guillaume Tell (oct. 2021) © Christian Dresse 

 
Comment avez-vous trouvé l’orchestre à votre arrivée ?
 
J’ai trouvé un bel orchestre qui a beaucoup progressé sous la direction du maestro Foster et qui possède une personnalité sonore très particulière, un son unique qui a servi de point de départ à mon travail pour développer certains aspects comme l’intensité des phrases ou la qualité technique… J’ai confiance en cet orchestre, ce qui est un plus pour moi car j’ai l’esprit libre pour travailler et pour le faire progresser. Et c’est de surcroît une formation qui a la chance d’être à l’aise dans tous les répertoires et genres musicaux.
 
Quelle est votre mission de directeur musical ?
 
C’est un investissement personnel important. Je dirige deux productions avec mise en scène et une en forme concertante ; cette année il s’agit du Requiem de Verdi (3), mais c’est le même engagement. Je gère par ailleurs la saison symphonique en constituant les programmes, en choisissant les chefs, en dirigeant moi-même parfois aussi. C’est une grande responsabilité, surtout pour programmer des œuvres qui s’inscrivent dans la progression de l’orchestre. Un directeur musical doit être psychologue ; il faut savoir motiver, être sévère quand c’est nécessaire, savoir se monter compréhensif aussi. C’est une expérience qui m’aide à grandir tant au niveau musical qu’humain.

 

© Anthony Carayol - Ville de Marseille

 
Qu’est ce vous n’acceptez jamais d’un orchestre que vous dirigez ?
 
Le manque de respect. Surtout envers les chefs invités. On peut avoir des idées différentes mais le respect du directeur musical est obligatoire. Parfois il m’a fallu lutter face à certains musiciens, je ne parle pas de Marseille, bien entendu, pour imposer mes idées. Ce n’est pas simple mais j’ai la tête dure …
 
Un bon directeur musical doit-il suivre la partition à la lettre ou a-t-il la possibilité d’apporter une touche personnelle à l’interprétation ?
 
La base c’est le respect absolu de la partition. Pour la petite histoire c’est pour cela qu’il n’y a pratiquement pas de coupures dans la production de Norma que j’ai dirigée ici. J’ai beaucoup insisté pour ça car couper c’est perdre de l’architecture générale d’une œuvre telle que Norma. Pour moi un bon directeur musical doit toujours partir du respect maximum de la partition et avoir une connaissance parfaite de l’orchestration, des voix, du texte. J’apprends le texte par cœur ; c’est essentiel. Une fois ces bases respectées, la personnalité du chef peut entrer en jeu. On peut travailler sur l’orchestration où en changeant des petites choses dans la partition pour rendre le discours plus intéressant, pour donner des couleurs et une ambiance. Mais le respect de la partition est obligatoire, aussi bien en ce qui concerne le lyrique que le symphonique.

 

Enea Scala et Karine Deshayes dans Norma (sept. 2024) © Christian Dresse

 
Vous travaillez surtout le répertoire classique, quelle place ont pour vous la musique d’aujourd’hui et le baroque ?
 
J’ai une affection particulière pour la musique baroque ; écouter Monteverdi, entre autres, m’excite beaucoup. Quant à la musique contemporaine, bien sûr qu’elle m’intéresse, d’autant plus que j’ai étudié à la Haute Ecole de Musique de Genève qui est très proche des musiques d’aujourd’hui. J’ai eu l’occasion de diriger des créations soit lyriques soit symphoniques et pour moi, l’important c’est que les œuvres aient du sens. La beauté c’est un jugement très personnel, ce qui m’intéresse c’est la qualité de la composition, même si on est loin des canons classiques.
 
Seriez-vous tenté de diriger des ouvrages baroques ?
 
Oui beaucoup. Sincèrement ce que j’aime dans le baroque c’est l’esprit des gens qui le joue. Si j’avais la possibilité de diriger Monteverdi je ne dirais pas non. En fait l’important c’est de bien connaître les instruments anciens ; en tant que violoniste, j’ai eu souvent l’occasion d’aborder ce répertoire. Travailler la musique baroque me permettrait de laisser s’exprimer ma fantaisie ; ce que j’aime dans cette musique c’est la liberté qu’elle offre aux interprètes. Puis il y a Bach ; pour moi c’est la base, le père de la musique. Lorsque j’étais adolescent, avant de travailler le violon ou le piano, ma grand-mère était très sévère et m’imposait de faire vingt minutes de Bach.
 
Aujourd’hui le contexte économique pèse beaucoup sur la culture et, en particulier, sur les maisons d’opéra, quel est votre sentiment à ce sujet ?
 
Je pense qu’il faut être vigilant et, surtout, intelligent. En tant que directeur musical je ne perd jamais de vue cette situation lorsque je compose les programmes des concerts. La première partie peut être l’occasion de faire découvrir une œuvre ou un compositeur, la deuxième doit être grand public. Après, concernant les productions lyriques, je pense qu’il faut être plus attentif dans les coûts. J’ai eu l’occasion de diriger une production où il y avait sur scène un miroir de 30 000 € ... Ça, ce n’est plus possible.

 

© Anthony Carayol - Ville de Marseille
 
Du fait de ce contexte, il y a désormais des saisons où des productions sont données en version de concert. Qu’en pensez-vous?
 
Je vais diriger dans quelques jours Simon Boccanegra en version concert au théâtre San Carlo à Naples. Je pense qu’il y a des œuvres comme celle-là qui sont plus adaptées que d’autres à une exécution sans mise en scène. Et je dois avouer qu’en général, pour le chef, il est intéressant de diriger une œuvre sous cette forme ; ça permet de goûter l’essence pure de l’opéra. Et puis, très égoïstement, il vrai que pour moi qui, vu mon âge, dirige souvent pour la première fois certaines œuvres, l’absence de mise en scène me permet d’être totalement tourné vers la partition.
 
Quelle est votre méthodologie lorsque vous abordez un nouveau titre ?
 
J’ai besoin de beaucoup de temps. Je pars toujours très en amont car je suis quelqu’un qui réfléchit beaucoup sur les choses, qui change mille fois ses idées afin que tout soit en place avant de retrouver l’orchestre. J’analyse beaucoup le texte, je travaille la prosodie par rapport à la musique et je joue la partition au piano pour les harmonies. J’évite d’écouter des enregistrements de l’ouvrage pour ne pas être influencé.
 
Bellini, Verdi, Puccini, Rossini, s’il vous fallait n’en retenir qu’un, quel serait-il ?
 
Verdi, c’est le compositeur le plus total. Pour moi, Verdi et Wagner c’est le sommet …
 
Propos recueillis par Michel Egéa, le 3 octobre 2024
 

Voir les prochains concerts en PACA <

(1) www.concertclassic.com/article/norma-selon-anne-delbee-lopera-de-marseille-entre-onirisme-et-tragedie-compte-rendu
 
(2) www.concertclassic.com/article/guillaume-tell-lopera-de-marseille-du-rififi-legoland-compte-rendu
 
(3) opera.marseille.fr/programmation/opera/requiem
 
 
Le 3 décembre prochain, Michele Spotti dirigera le Concert du 100e anniversaire de l’Opéra de Marseille. Un rendez-vous XXL qui réunira, outre l’orchestre et de choeur de la maison les soprani Csilla Boross et Patrizia Ciofi, la mezzo-soprano Karine Deshayes, le ténor Enea Scala, les barytons Juan Jésus Rodriguez et Marc Barrard et la basse Nicolas Courjal. Au programme des airs de Verdi, Rossini, Bellini, Gounod et Massenet. Les Préludes I & III du Lohengrin de Wagner sont aussi au programme // opera.marseille.fr/programmation/concert-symphonique/concert-de-l-orchestre-philharmonique-de-marseille-03-12-2024
 
Photo Michele Spotti © Anthony Carayol - Ville de Marseille

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