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Voix sacrées et profanes au Festival de La Chaise-Dieu 2024 – Magie et mystères – Compte-rendu

 
Ouvert la veille en la cathédrale du Puy-en-Velay avec des cantates de jeunesse de Bach, nouveau programme défendu par l’ensemble Correspondances, le 58e Festival de La Chaise-Dieu s’installait ce 22 août en l’abbatiale Saint-Robert. Vincent Dumestre, qui dira à la fin du concert son plaisir à revenir dans ce lieu extraordinaire avec son ensemble Le Poème Harmonique, y présente Didon et Énée de Purcell. Une lecture vive, pleine de contrastes, où, comme il aime le faire, le chef rompt les digues entre art savant et populaire – ainsi un trio de guitares baroques vient-il colorer la fin de l’acte I – ou entre la musique et le théâtre : les entrées et sorties des personnages, un jeu de scène minimal mais parfaitement réglé font vivre le récit.
 

Jean-Christophe Lanièce (Enée) et Adèle Charvet (Didon) © Bertrand Pichène

Première Didon pour Adèle Charvet
 
Le chœur participe aussi à cette théâtralité, naviguant entre naturel et sophistication, de même que les seconds rôles – le duo énergique des deux sorcières (les mezzo-sopranos Caroline Meng et Anouck Defontenay) ou le baryton Igor Bouin, excellent dans le rôle de la Magicienne de l’acte II comme dans celui d’un marin à l’acte III. Adèle Charvet, qui fait ses débuts en Didon, entre parfaitement dans le rôle. Avec ses inflexions, sa retenue parfois, elle saisit tout le trouble du personnage. Même son entrée, la voix sans doute encore un peu tendue par l’émotion de chanter cette œuvre en ce lieu, renforce son incarnation de la reine de Carthage. À ses côtés, Ana Quintans est une Belinda rayonnante de bonté, vocalement parfaite. Le baryton Jean-Christophe Lanièce apporte quant à lui une stature à la fois sobre et vaillante à Énée – quand il quitte Didon, qui le rejetteil porte lui aussi le poids de la tragédie qui se joue. À l’issue de l’opéra, Vincent Dumestre dirige en bis les choristes du Poème Harmonique, placés à l’avant-scène, dans l’anthem « Hear my prayer, O Lord », magnifique post-scriptum à la mort de Didon.
 

© Vincent Jolfre
 
Le rite du baptême pour la première fois mis en musique
 
Il y a dans la musique de Purcell de la magie et du mystère. Il n’y en avait pas moins le lendemain pour le concert de l’ensemble vocal Aedes et de l’orchestre Les Siècles. Un concert-événement puisque l’on y donnait en création une œuvre d’envergure : la commande passée par le festival et son directeur Boris Blanco au compositeur Thomas Lacôte l’invitait à écrire en regard du Requiem de Fauré, en en empruntant l’effectif (dont cet étrange orchestre sans bois, avec un unique violon solo qui vient se joindre le temps du Sanctus aux altos, violoncelles et contrebasse). Thomas Lacôte (né en 1982) a choisi de composer un Répons du baptême, un rite qui curieusement n’avait jamais été mis en musique.
 

Mathieu Dubroca, Roxane Chalard et Mathieu Romano © Vincent Jolfre
 
Foisonnante diversité
 
L’œuvre se déploie en neuf mouvements dont le compositeur assume la profonde hétérogénéité : de l’un à l’autre, l’orchestration se transforme, recomposant des groupes instrumentaux à partir de la formation imaginée par Fauré. L’œuvre est ainsi traversée de conjonctions étonnantes (exemple : trombones, altos, harpe et célesta – ce dernier remplaçant chez Thomas Lacôte l’orgue convoqué par Fauré), articulée par la mise en avant des solistes de l’orchestre (cor, percussions, harpe…). Les voix ajoutent à cette foisonnante diversité, répondant aux formes multiples des textes – interrogations, exhortations rituelles, psaume, récit évangélique – où alternent le latin et le français. Dans ce Répons à la puissance dramaturgique très forte, les interventions des solistes et du chœur s’entremêlent, bâtissent de superbes polyphonies : le chœur Aedes se fait souffle ou chaos, accompagnant le baryton Mathieu Dubroca avec douceur ou véhémence ; à la soprano Roxane Chalard reviennent les moments de récit. Il y a malgré tout une profonde unité dans cette musique. Elle se révèle en particulier à travers l’utilisation du violon solo, qui vient déposer son motif répété – et son étrange lumière – sur les mots du Baptismus (7mouvement). Ce motif, tout à la fois affirmation et doute, se fera entendre de nouveau à la conclusion (Ultimum votum, 9mouvement), apportant une résolution paradoxale à cette œuvre magnifique, portée avec une indéfectible énergie par le chef Mathieu Romano (photo).
 
Après l’entracte, ce sont les mêmes solistes, chœur et orchestre qui abordent le Requiem. Ce qui s’est révélé pour le compositeur une contrainte puissamment constructive et inspiratrice, s’avère plus délicat pour les interprètes. Impeccable dans le Répons du baptême, Mathieu Dubroca se montre ici moins vaillant, le chœur plus confus, l’orchestre moins percutant – le Cantique de Jean Racine du même Fauré, donné en bis sera même bien pâle. La douceur, la consolation intimiste que Mathieu Romano souhaite, à raison, appliquer à sa lecture, devient presque languissante. Peut-être aussi les belles inventions orchestrales de Fauré paraissent-elles quelque peu émoussées après les fulgurances entendues chez Thomas Lacôte. Il faudra attendre l’In Paradisium final, tout en suspension, pour retrouver la pleine expression du mystère.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 

La Chaise-Dieu, abbatiale Saint-Robert, 22 et 23 août 2024.
Le festival se poursuit jusqu’au 31 août // www.chaise-dieu.com/programmation

Photo Mathieu Romano © Vincent Jolfre

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