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La Damnation de Faust à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg - Un damné magnifique - Compte-rendu
Elle était attendue, cette Damnation de Faust strasbourgeoise. Comment pouvait-il en être autrement ? Il y a deux ans, la version de concert des Troyens, dirigée par John Nelson avec une distribution exceptionnelle, avait fait l’unanimité. L’enregistrement réalisé sur le vif et paru sous le label Erato a depuis été justement récompensé par la presse et par la Victoire de la musique du « meilleur enregistrement de l’année ». Avec John Nelson de nouveau à la baguette, entouré de quelques-uns des héros et héroïnes des Troyens (Joyce Di Donato, Michael Spyres (photo), Nicolas Courjal), le concert, cette fois encore enregistré, semble paré pour un nouveau succès. Disons-le d’emblée : cette Damnation de Faust est d’un très haut niveau artistique, et une contribution remarquable aux célébrations de l’année Berlioz, cent cinquante ans après la disparition du compositeur.
John Neslon © Marco Borggreve
John Nelson n’a rien perdu de son enthousiasme ; tout au plus certaines attaques sont-elles moins tranchantes que pour Les Troyens, où l’orchestre avait atteint un niveau de concentration proprement extraordinaire. Mais quelques imprécisions et langueurs ne sont rien face à l’énergie que dégage l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, cordes, vents, percussions tous confondus dans un même élan. Surtout, le chef emmène ses musiciens vers des sommets de poésie musicale : le « suave concert » qui berce Faust à la scène VII devient une floraison de timbres magnifiques et hardis. Même cohésion, même vigueur sont à louer pour le Chœur Gulbenkian de Lisbonne, rejoint pour l’épilogue par les Petits Chanteurs de Strasbourg. Il contribue grandement à donner l’illusion d’une action dramatique, d’autant que John Nelson et le chef de chœur Jorge Matta osent, là aussi, se confronter jusqu’au bout aux inventions du compositeur, comme avec l’Amen fugué qui conclut la chanson de Brander (scène VI), parfaitement satirique et fort nasillard.
Joyce DiDonato © joycedidonato.om
Bien sûr, la scène de la salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès peine à contenir tout ce monde et les effets de spatialisation ne se déploient pas aussi aisément que Berlioz les eût rêvés. En revanche, l’extrême précision avec laquelle John Nelson fait intervenir les chœurs laisse augurer un équilibre idéal, après mixage, pour l’enregistrement discographique. Car, et c’est l’autre grande qualité de ce concert, les voix ne sont jamais forcées, même lorsqu’orchestre et chœur menacent de les couvrir ; à quelques rares moments, dans le final de deuxième partie notamment, il faudra tendre un peu l’oreille, mais les intonations resteront toujours naturelles – et c’est là encore un bienfait pour l’enregistrement à venir.
Naturel, le ténor Michael Spyres l’est assurément. Il chante Berlioz avec une justesse et une humanité confondantes et plane littéralement au-dessus de l’œuvre ; on ne saurait mieux incarner Faust. Ses airs des premières scènes (« Le vieil hiver a fait place au printemps », « Sans regrets j’ai quitté les riantes campagnes »), chantés d’une voix souple, se jouant de toutes les difficultés – sans même parler de l’impeccable diction du français –, font immédiatement surgir le personnage, terrien et rêveur, solide et ébrêché, jusque dans ses échanges avec Mephisto. On ne retrouvera certes pas cette imparable aisance après l’entracte, la voix accusant un peu la fatigue lors du duo amoureux (scène XIII) et pour l’Invocation à la nature (scène XVI). Mais, même ainsi, on reste fasciné par la façon dont le ténor met au service du rôle tous ses moyens du moment. Et dans la Course à l’abîme, en héros meurtri, il sera déchirant. Que dire d’ailleurs des larmes du ténor au moment des saluts sinon que, jusqu’au bout, jusqu’aux derniers souffles, il aura joué son rôle avec une incandescence rare ? Il est plus qu’heureux que les micros de Warner aient pu capter cette interprétation démesurément humaine.
Nicolas Courjal © Neil Gillespie
Si Michael Spyres met toute son âme – et celle de Faust – dans le chant, Nicolas Courjal ajoute beaucoup de théâtre à sa voix de basse pour camper Mephisto. Mimiques, fléchissement des intonations : il donne au rôle ce qu’il lui faut de bouffon, et il le fait parce qu’il est parfaitement sûr de sa diction et de son émission, ce que confirme l’air de « la puce ». Le contraste des deux personnages et saisissant et contribue à donner à cette version de concert sa force dramatique. Quant au baryton Alexandre Duhamel, il est impeccable dans le bref rôle de Brander, son air parfaitement rythmé par les interventions du chœur. Finalement, la seule déception, toute relative, tient à Joyce Di Donato qui, dans le rôle de Marguerite, semble un peu pâle. Peut-être pâtit-elle du sublime élan de Michael Spyres et ne parvient-elle pas à se hisser à un tel niveau d’émotion dans la Chanson du Roi de Thulé. Mais déjà, lorsqu’elle chante « D’amour l’ardente flamme », c’est bien la beauté de la voix que l’on retient.
Les Troyens avaient atteint une quasi-perfection ; cette Damnation n’en est somme toute pas très loin. De bon augure avant la poursuite de ce cycle Berlioz, dès la saison prochaine, avec Roméo et Juliette (du 18 au 20 avril 2020), où l’on retrouvera Joyce Di Donato, Nicolas Courjal, Cyrille Dubois et, bien sûr, John Nelson.
Jean-Guillaume Lebrun
Strasbourg, Palais de la Musique et des Congrès, 25 avril 2019.
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