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​La Symphonie n°2 de Mahler vue par Romeo Castellucci ouvre le Festival d’Aix-en-Provence 2022 – Résurrection en charnier majeur – Compte rendu

 

Lundi après-midi, à quelques heures de l’ouverture du Festival d’Aix-en-Provence au cœur d’un lieu improbable, le Stadium de Vitrolles, bunker démesuré de béton noir, salle à l’origine polyvalente (spectacles et sports), signé Rudy Ricciotti, à l’abandon depuis vingt-cinq ans, tagguée, graffée, squattée, dépecée, un communiqué ne laissait pas planer de doute sur ce qui allait nous être proposé le soir même avec « Résurrection ». « L'installation de Romeo Castellucci a été conçue un an avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Si les images convoquées par la scène semblent se télescoper avec certains événements récents qui ont frappé par leur atrocité, il s'agit d'une coïncidence imprévisible. Elle est néanmoins riche de sens. Quel rapport la communauté des vivants entretient-elle avec ses morts ? Comment leur rendre la dignité d'êtres humains ? Et en quoi la pitié est-elle nécessaire au salut moral de notre espèce ? »
C’était dit… Et écrit ! C’est donc devant un charnier, d’où plus de cent cadavres sont exhumés sous nos yeux pendant une heure et quart, que la Symphonie n°2 de Gustav Mahler est proposée, comme un affrontement entre le génie créatif d’un compositeur et la folie criminelle d’autres hommes. Le poids de la musique, le choc des images !
 

© Monika Rittershaus

Reconnaissons que le « spectacle » est parfois difficilement supportable, l’odeur du terreau parvenant progressivement aux narines des spectateurs, se dispersant jusque sous les cintres, les corps noircis de nouveau-nés, d’enfants et d’adolescents étant déposés aux côtés de ceux d’adultes des deux sexes, sur des linceuls-sacs de plastique blanc, une jeune membre du Haut Commissariat aux Réfugiés n’ayant de cesse de creuser nerveusement à mains nues pour ne pas oublier une dépouille alors que ses camarades sont sur le départ.
 
Comment, dès lors, interdire à l’effroyable de pénétrer les cerveaux : corps gazés entassés dans des fours géants non loin de Cracovie, ethnie massacrée du côté du Rwanda, populations exterminées non loin des pentes du Mont Ararat… Comment ne pas se souvenir des pleurs, devant caméras, d’un officier de police français chargé, il y a quelques années, d’aider à l’identification de centaines de corps exhumés au Kosovo et alignés sur des lits de camp dans un gymnase. Et à chaque fois la communauté internationale qui clame haut et fort « plus jamais ça » et à chaque fois ça recommence… Marioupol il y a quelques jours…
 

© Monika Rittershaus
 
Pour Romeo Castellucci il est certainement nécessaire, voire vital aujourd’hui, de proposer ici cette terrible installation qui atteint un paroxysme avec son association à la partition de Mahler, déchirée et déchirante, sombre et lumineuse, habitée et fantomatique qui trouve une dimension particulière dans cette salle au-delà des lacunes liées à la sonorisation. Mais le choc n’a pas fait l’unanimité à en juger par l’accueil mitigé réservé à l’Italien.
 
Quant au Chœur et à l’Orchestre de Paris XXL, aux voix des solistes (Golda Schultz et Marianne Crebassa) et au maître Esa-Pekka Salonen, tous ont donné le maximum dans cette uniformisation du son liée au contexte si particulier et ont été salués poliment.
« Et la résurrection ? » direz-vous ! Au-delà de celle du Stadium de Vitrolles dont Pierre Audi, le directeur du Festival d’Aix, dit vouloir faire un nouveau lieu pour les années à venir ; elle a simplement pris, dans le propos de Castellucci, la forme du respect et de la dignité pour les dépouilles exhumées ce qui constitue l’une des principales dispositions du droit international humanitaire.

 
Michel Egéa
 

Gustav Mahler : « Résurrection » (Symphonie n° 2) au Stadium de Vitrolles le 4 juillet ; prochaines représentations les 7, 10, 11 et 13 juillet 2022 et en direct sur Arte TV le 13 juillet / festival-aix.com/fr/evenement/resurrection
 
Photo © Monika Rittershaus

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