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Matthias Pintscher et l’Ensemble Intercontemporain à la Biennale Boulez – Naviguer sur les méandres – Compte-rendu
Il y a un peu moins de dix ans, à la veille d’en prendre la direction musicale, Matthias Pintscher dirigeait l’Ensemble Intercontemporain dans Le Marteau sans maître – une lecture jubilatoire, pleine de chair, de couleurs et de résonances. Arrivé bientôt au terme de son mandat, le chef allemand propose un programme que Pierre Boulez n’aurait pas renié.
La Musique d’accompagnement pour une scène de film (1930) de Schoenberg ouvre le concert. Musique pour un film imaginaire qui, sous la direction de Matthias Pintscher, se fait un peu métaphore des possibilités du cinéma lui-même : l’étagement des pupitres, cordes et vents, offre d’emblée une « profondeur de champ » au discours musical. La conception de Matthias Pintscher se situe à mi-chemin de la poésie et du drame.
Le drame, c’est précisément ce qui manque aux Altenberg Lieder de Berg que le chef conduit ensuite. La version choisie en est, pour partie, la cause : l’arrangement pour orchestre de chambre réalisé par le chef Emilio Pomàrico en 2008 s’attache avant tout – et la direction va dans ce sens – à préserver les qualités de timbre et l’atmosphère de mystère (dans le quatrième chant, « Nichts ist gekommen », notamment) mais peut difficilement rivaliser avec le grand orchestre pour les effets de dynamique. De plus, si la soprano Yeree Suh séduit par un timbre clair, son manque de puissance dans le grave accentue le côté éthéré de l’interprétation.
© Anne-Elise Grosbois
La voix de la chanteuse coréenne se révèle en revanche idéale pour les Improvisations sur Mallarmé I et II (1958), les deux premiers chants de ce qui allait devenir, à force d’adjonction et de développement, Pli selon pli, « portrait de Mallarmé » selon Pierre Boulez. L’articulation parfaite du chant fait mentir l’idée – que le compositeur ne réfutait d’ailleurs pas complètement – selon laquelle l’intelligibilité littérale ne saurait être assurée. Surtout, la voix s’insère assurément dans l’entrelacs des résonances d’un orchestre (percussions, piano, harpe, célesta) qui tour à tour voile et dévoile le poème.
Résonance, articulation – ou hédonisme sonore et rigueur formelle – parcourent toute l’œuvre de Boulez. Dérive 2 (1988-2006) en serait presque le manifeste : un parcours certes complexe où de méandres en méandres la musique reste toujours fidèle à sa source. Quarante-cinq minutes d’une musique où tout entre en relations : les durées, les timbres, les gestes… L’œuvre reste difficile à appréhender dans sa totalité mais elle s’ouvre à plusieurs reprises presque par surprise (pour l’auditeur : le compositeur et, visiblement, les musiciens savent où ils vont ! ), sur des clairières sonores, moments d’extase, de réalisation complète – Boulez avait composé entre-temps Sur Incises et cela s’entend –, avant de replonger dans des zones de subduction. Véritable tour de force pour les solistes de l’Ensemble Intercontemporain, l’œuvre s’achève sur une conclusion virtuose, portée par un mouvement rythmique irrépressible.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Cité de la musique, 16 avril 2023
Photo © Anne-Elise Grosbois
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