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Festival Présences 2025 – Au-delà du geste – Compte rendu

 
La création étant a priori un espace libre, un festival de création musicale peut être le lieu de toutes les surprises. Dès le concert d’ouverture de cette 35e édition du festival Présences, on se fait à l’idée que ce n’est pas forcément de ce côté-là qu’il faudra rechercher les temps forts.

Puissance éruptive

La première création à l’affiche déçoit rapidement : malgré l’énergie déployée par la pianiste Ninon Hannecart-Ségal, Fading, concerto pour piano préparé du Chinois Menghao Xie (né en 1977), ne tient guère les promesses de l’étrangeté sonore affichée par le piano mais pâlement reprise par l’orchestre (précisons que le piano n’a finalement pas pu bénéficier de l’amplification prévue par l’auteur). Si le quintette IIIN de la Coréenne Imsu Choi (née en 1991) offre de belles sonorités suspendues bien restituées par les jeunes musiciens de l’ensemble Next du Conservatoire de Paris, ce sont les deux œuvres « classiques » du programme qui s’imposent : Mana de Christophe Bertrand (1981-2010) par sa puissance éruptive, son matériau qui se transforme abruptement, était il y a vingt ans un défi orchestral, dont l’Orchestre du Conservatoire s’empare avec une aisance impressionnante sous la direction de Pascal Rophé (on tirera la même impression de Spazio-Articolazione de Fausto Romitelli (1963-2004) donné lors du concert de clôture). Orlando’s World d’Olga Neuwirth, où l’écriture se réinvente à chaque scène, pâtit quant à elle, de la voix peu audible (au moins depuis les loges de côté de l’Auditorium de la Maison de la Radio) de Virpi Räisänen – dommage pour une pièce tirée d’un opéra et où la mezzo-soprano finlandaise semble pourtant investie comme sur scène.

 

Olga Newirth, compositrice invitée de Présences 2025 © Christophe Abramowitz

 
Modifications en cours de route

 
La compositrice autrichienne était l’invitée de festival ; elle en fut malheureusement absente pour des raisons personnelles. Il y a en effet dans son œuvre de quoi faire un portrait. On note ainsi son goût pour les formes qui se modifient en cours de route. C’est même un peu systématique parfois et cela s’entend quand s’enchaînent le 8 février, sous la direction de Matthias Pintscher, Keyframes for a Hippogriff, plutôt réussi, pour contre-ténor, chœur d’enfants et orchestre, et Trurliade - Zone Zero pour percussion et orchestre, qui repose peut-être un peu trop sur le jeu spectaculaire de la soliste Adélaïde Ferrière. Au même concert de l’Orchestre national de France, l’ex-chef de l’Ensemble Intercontemporain dirigeait la création de  Tombeau I, hommage à Pierre Boulez de la compositrice née en 1968. Ici, la magie opère pleinement dans les temps et sources (orchestre et orchestre échantillonné) superposés.

 

André de Ritter © Marco Borggreve

 
Jeu de double et de doublure
 
Plus fascinant encore est son concerto pour piano. Locus...Doublure...Solus où la narration en perpétuelle métamorphose est menée par le piano est son double électronique, ce jeu de double et de doublure se poursuivant au sein de l’orchestre — en l’occurrence l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé avec panache par André de Ridder. Ce programme donné le 7 février à la Philharmonie de Paris est d’ailleurs un bel exemple de mise en relation de la création la plus récente avec son rapport au passé puisqu’elle offrait aussi un Magnificat de jeunesse de Luciano Berio, déjà marqué par la jubilation vocale, et sa magnifique relecture de Schubert (Rendering), séparés par la création du Cantique des larmes de Michaël Levinas (né en 1949) où se disputent les mouvements ascendants/descendants chers au compositeur.

 

Toby Thatcher © tobythatcher.com

 
Hommage à Klaus Nomi
 
Avec Olga Neuwith, Présences se donnait la possibilité de s’éloigner des références classiques. L’Hommage à Klaus Nomi de la compositrice autrichienne est ainsi bien rendu dans son énergie et ses influences disparates par le contre-ténor Andrew Watts (également soliste le lendemain de Keyframes for a Hippogriff) et l’Ensemble Modern dirigé par Toby Thatcher. Ce concert donné au Trabendo, conçu comme un after à celui de la Philharmonie, s’ouvrait avec une création de Leon Liang (né en 2001), puisant comme Hommage à Klaus Nomi dans une multitude d’influences populaires, avec un même goût du nonsense. Il se poursuivait avec un set de la DJ Léonie Perret : bonne idée mais on peine à trouver une continuité entre les deux parties du concert.
Finalement, loin de l’invention à tout crin, c’est dans la forme classique absolue du concerto que le festival a livré ses moments les plus marquants.Outre Locus...Doublure...Solus déjà cité, il faut mentionner le merveilleux « ...Miramondo multiplo... » pour trompette et orchestre d’Olga Neuwirth par David Guerrier et l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Matthias Pintscher lors du concert de clôture. Au même concert, Le Livre des merveilles de Tristan Murail (né en 1947) réussit la combinaison d’éléments (l’orchestre à cordes, le guzheng et l’électronique) qui pris séparément passeraient pour déjà entendus voire datés mais qui ensemble créent une atmosphère singulière et proprement envoûtante.

 
La révélation Rocío Cano Valiño
 
Si Éric Montalbetti (né en 1968) désarçonne avec son Concertino pour la pianiste Beatrice Rana, surjouant les canons de la virtuosité – il faut dire que la soliste a les moyens de ce jeu-là –, le concert précédent, donné par l’ensemble Linea, toujours impeccable sous la direction de Jean-Philippe Wurtz, a poussé le genre concertant vers des horizons plus radicaux. Avec Twin Conapts, Aurélien Dumont (né en 1980) se saisit des ambiguïtés permises par la réunion d’instruments anciens (flûte Renaissance, contrebasson baroque, sacqueboute...) et modernes, mais peine à trouver une direction. En revanche, Rocio Cano Valiño (photo, née en 1991) ne lâche jamais la tension de son Fanguyo, concerto pour contrebasson où le soliste Antoine Pecqueur insuffle à tout l’ensemble une folie saturée, éprouvante et foisonnante, faisant naître des tableaux d’une irrésistible vigueur. La compositrice argentine est la révélation de de festival.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 

 Festival Présences, Paris, du 4 au 9 février 2025
 
Photo © rociocanovalino.com

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