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Luxembourg - Compte-rendu : Festival Rainy Days - Platon à la Philharmonie
L’ivresse peut-elle aider à la réception du répertoire contemporain ? Sven Hartberger, qui dirige le Klangforum Wien depuis 1999, en est convaincu. Il a ainsi conçu ce « Symposion », banquet musical « dans l’esprit de Platon » que son ensemble présentait à Luxembourg après de similaires expériences à Vienne, Salzbourg ou Venise.
Matelas jetés sur la scène de la Philharmonie, sur lesquels prend place le public, assis ou couché, à portée des musiciens, le dispositif répond bien au thème général du festival cette année : Relax. Endossant le rôle du « symposiarque », l’acteur Marc Olinger, directeur du Théâtre des Capucins, en appellera régulièrement à cette décontraction, veillant à ce que peu à peu l’ivresse se fasse – et pour cela seront sollicités des sens (le goût, l’odorat, le toucher) qui le sont généralement peu au cours d’un concert. Pour autant, relax n’est pas relâchement et ce « Symposion » est avant tout l’occasion de découvrir, huit heures durant, les œuvres de quatorze compositeurs, soit une véritable anthologie de la musique contemporaine.
L’ivresse par le vin se nourrit de la surprise. Celle de la musique aussi. Nombre d’œuvres au programme sont ainsi versatiles. La Danse aveugle (1997) de Hanspeter Kyburtz ouvrait le « Symposion » et en donnait le ton : de subtiles variations dans les répétitions donnent à la pièce une allure générale de rondo et mènent à un paroxysme euphorique, suivi d’une torpeur réinstallée. De même, Trauben (2004) d’Enno Poppe, que les spectateurs écoutent après une première dégustation de vins blancs autrichiens, commence en un duo miaulant, minaudant, tout en glissandos du violon et du violoncelle (Sophie Schlafleitner et Benedikt Leitner) puis se densifie jusqu’à la frénésie à mesure que le piano (Marino Formenti, remarquable tout au long du concert) devient de plus en plus envahissant.
Distorsion des timbres (Il Silenzio degli oracoli de Salvatore Sciarrino), envahissement du souffle et des frottements d’archet (Domeniche alla periferia dell’impero de Fausto Romitelli), sonorités en résonance passant d’un instrument à l’autre (Le Contredésir de Saed Haddad pour clarinette, cor et violoncelle, In Nacht und Eis d’Olga Neuwirth pour basson et accordéon) : tout est fait pour troubler la perception, et redoubler ainsi l’attention du public.
La réussite du concert tient aussi à sa relation toute particulière au rythme. Celui des œuvres tout d’abord, tel Spur (1998) de Beat Furrer, où les pizzicatos soutiennent la pulsation et la diluent progressivement. Celui aussi de leur enchaînement : aux longs développements (Kyburz, Talea de Gérard Grisey) s’oppose la concision géniale des pièces pour vents de György Kurtág. On aboutit à une sorte d’abolition du temps lorsque, plus de sept heures après les premières notes de la Danse aveugle, et après les derniers mets accompagnés d’un dernier vin sucré, Klangforum se lance dans l’interprétation d’In C, lancinant appel à la méditation de Terry Riley.
Quant à la qualité des interprétations, il n’est, pour s’en rendre compte, que de considérer la poésie qui ressort d’une œuvre comme Dérive 1 de Pierre Boulez. Là où le compositeur propose une démonstration virtuose, sorte de concerto pour orchestre, le Klangforum Wien, dirigé par Baldur Brönnimann, remarquable de précision et de souplesse, en donne une lecture plus coulée, très attentive à faire surgir contours et couleurs.
Finalement, ce programme qui eût pu « remplir » quatre ou cinq concerts « traditionnels » fait réfléchir. Le rapprochement des styles, la volonté délibérée de s’enivrer – de musique entre autres – pousse peut-être à découvrir les œuvres contemporaines avec plus d’appétit et d’acuité.
Jean-Guillaume Lebrun
Luxembourg, Philharmonie, samedi 29 novembre 2008
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Photo : DR
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