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Hydrogen Jukebox à Nantes : une Amérique effarante et fantasmatique
Classé parmi les compositeurs dits « minimalistes », une étiquette qui ne lui convient d’ailleurs qu’imparfaitement, Philip Glass a bâti en une trentaine d’années une œuvre lyrique de premier plan. L’un parmi la vingtaine d’ouvrages composés depuis Einstein on the Beach, Hydrogen Jukebox (1990), n’avait jamais été représenté en France.
Il s’agit à vrai dire, davantage que d’un opéra à proprement parler, d’un « tour de chant », parcours lyrique en une vingtaine de poèmes rassemblés d’Allen Ginsberg, dans un esprit finalement pas si éloigné de celui du Voyage d’hiver de Schubert et Müller.
Joël Jouanneau, qui signe ici sa première mise en scène d’opéra, a posé d’emblée l’œuvre comme un work in progress. Dès l’ouverture sont invoquées les images d’une Amérique effarante et fantasmatique avec ses pom-pom girls moulinant à vide, ses réminiscences de films noirs (le narrateur Éric Génovèse habillé à la Bogart) et surtout la guerre, omniprésente et insidieuse. Nul récit chez Ginsberg mais quelques jalons sur un parcours halluciné, qui toujours ramène à l’Amérique, profonde et superficielle. Joël Jouanneau sur ses pas fait s’entrechoquer les images et lance des propositions, dont certaines ne manquent pas de faire s’interroger le spectateur. La première partie se déroule ainsi sur fond sonore et visuel d’un écoulement continu de sable au centre de la scène : est-ce le sablier du temps humain ? La poussière qui recouvre toute chose, les souvenirs et la vie ?
Cette démarche bien sûr a ses revers ; difficile en effet de ne pas céder aux facilités de l’imagerie et la multiplication des effets pourra parfois sembler gratuite, tendant pour le pire vers la caricature de la lenteur revendiquée des mises en scène de Bob Wilson. Cependant, la déviation de gestes stéréotypés (dans le chant 9, Under Silver Wing, ceux des consignes de sécurité des compagnies aériennes), dopée par les boucles musicales de Philip Glass, crée un effet hypnotique, proprement fantastique, moins illustration que prolongement des mots d’Allen Ginsberg.
Opéra d’images, Hydrogen Jukebox pose le problème de la compréhension narrative et de celle du texte. Quelques fragments projetés en vidéo, quelques vers dits en français par le récitant avant certains chants posent les points de repères suffisants et préservent le spectateur d’allers-retours entre la scène et d’impossibles surtitres. Dans l’enregistrement réalisé avec le compositeur, c’est Allen Ginsberg lui-même qui était récitant. Éric Génovèse fait autre chose, d’abord parce qu’il dit en français, mais surtout parce qu’il a su s’emparer du texte, en rendre toute la violence libératoire. Accompagné au piano par Michel Maurer, sa déclamation du très inspiré Wichita Vortex Sutra qui clôt la première partie est un tour de force.
Dans une œuvre où les ensembles sont nombreux, la distribution a très bien concilié cohésion et présence scénique, excellente y compris pour la mezzo Aurore Ugolin et la basse Jean-Louis Pagésy, moins dotés en parties solistes : le long réquisitoire, au chant 16 (Violence & CIA Dope Calypso), contre l’Amérique au seuil des années quatre-vingt-dix, celle de George Bush père, des Contras et de la fin de la guerre froide, est d’une efficacité terrifiante ; les six chanteurs-acteurs, évoluant dans un décor rouge sang et des poses à la James Bond, y font oublier les quelques audibles décalages de la première partie et le manque, par moments, de projection des voix.
Il n’est pas étonnant que trois des solistes soient des familiers des œuvres de Britten, tant le caractère intime des textes comme de la musique est présent chez Philip Glass aussi bien que dans les opéras de chambre du compositeur britannique. Ce sont ici les voix d’hommes qui portent les rares personnages véritables : le poète devenu soldat du premier chant, l’excellent Jeremy Huw-Williams, ou Michael Bennett, poignant dans l’ode À Tante Rose. Alors que Céleste Lazarenko s’affirme de plus en plus au fil de la représentation (voix cristalline et instrumentale accompagnant la flûte au début du chant 13), Mia Delmaë fait entendre une voix beaucoup plus pop, instillant dans l’œuvre quelque chose du cabaret.
Dans son costume d’Oncle Sam, Philippe Nahon dirige, tantôt au pupitre, tantôt parmi les chanteurs ou les musiciens, toujours acteur (on n’est pas loin parfois de Buster Keaton) autant que chef. Il peut compter parmi les sept musiciens participant de l’ensemble Ars Nova, sur Michel Maurer et André Dos Santos, qui depuis leurs claviers sont les indispensables soutiers de cette musique prenante, qui sous ses apparentes douceur et facilité redouble la véhémence des mots d’Allen Ginsberg.
Jean-Guillaume Lebrun
Philip Glass : Hydrogen Jukebox. Nantes, Théâtre Graslin, 13 janvier 2009. Puis le 17 janvier à Orléans (Carré Saint-Vincent), les 22, 24 et 26 janvier à Nantes (Grand T), les 28 et 29 janvier à Angers (Grand-Théâtre), le 1er février à Dijon (Grand-Théâtre) ; le 5 février à Valence, le 19 février à Douai (Hippodrome), le 13 février à Besançon (Théâtre musical), le 18 et 19 février à Poitiers (Théâtre), le 5 mars à Caen (Théâtre).
> Voir le reportage vidéo
> Programme détaillé du Théâtre Graslin
Photo : Jef rabillon pour Angers Nantes Opéra
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