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Orphée aux Enfers à l’Opéra de Marseille - « J'ai vu le dieu Bacchus, sur sa roche fertile » - Compte-rendu
Marseille, qui n'avait pas revu Orphée aux enfers depuis vingt ans, reçoit en cette fin d'année une production créée, sauf erreur, à Liège en 2006 (et depuis reprise à Metz et Lausanne).
Première bonne surprise : en dépit de la disparité des plateaux, la mise en scène de Claire Servais s'adapte bien à son nouveau cadre. Il faut dire que l'on a pris soin de fignoler les détails, de telle sorte que le premier acte ait vraiment l'air de se dérouler dans les coulisses de l'Opéra marseillais (où Eurydice fait office d'ouvreuse ou de concierge) et que Pluton exhibe devant ses collègues affamés un en-cas typiquement provençal (vin de Bandol, pastaga et figatelli inclus). Il est dommage que Servais ne tire pas davantage parti, dans les deux derniers actes, de son principe pirandellien, voulant que l'histoire d'Orphée soit manipulée par une présentatrice de télé aux dents longues (l'Opinion publique), escortée d'encombrants caméraman et perchiste. Dès que les dieux entrent en lice, la scénographe se réfugie dans le traditionnel pastiche mythologique mâtiné de Folies bergères : on y perd en originalité ce qu'on y gagne en brio, et il faut admettre que le Finale aux Enfers, malgré une accumulation kitsch de fausses mouches, cuirasses dorées, jupons colorés, démons de plastique, guitare électrique et autres trouvailles venues d'Astérix comme du Roi danse file une sacrée pêche. Et est-ce un hasard si l'Olympe nous évoque une soirée à l'Assemblée nationale et l'Orphée empoté certain président de la République, joufflu et férocement "normal" ? On l'aura compris : l'air du temps rencontre ici la convention, le gag vulgaire flirte avec la mise en abyme, la farce marrante (John Styx en kilt, Diane en maîtresse sado-maso) avec la citation éculée (L'Angélus de Millet). Et si l'on regrette des costumes généralement moches et une direction d'acteurs assez convenue, l'on apprécie le rythme de plus en plus endiablé du spectacle.
Seconde bonne surprise : bien que la version annoncée soit celle, originale, en deux actes de 1858, c'est bien plutôt à un compromis entre celle-ci et la féerie "en quatre actes et douze tableaux" de 1874 que l'on assiste (mouture qui ne paraît pas avoir été représentée depuis le grandiose show de Martinoty, à Paris en 1987, et n'a jamais été intégralement enregistrée). On y gagne nombre de pages délicieuses, dont la cantate d'adieux des élèves d'Orphée (ici chantée et jouée au violon par quatre charmants bambins !), le saltarello de Mercure et les couplets de l'Amour. Mais si l'Acte de l'Olympe est ainsi donné dans sa quasi-intégralité, les coupures affectant l'Acte III rendent un peu obscure la métamorphose de Jupiter en mouche...
Conscient du mélange des genres opéré par cette version, le chef Samuel Jean semble vouloir éviter de tomber dans le comique troupier, flattant au contraire les pages lyriques d'une partition qui n'en est pas avare (superbe "La mort m'apparaît souriante"). Le jeu mal dégrossi de l'Orchestre de Marseille ne l'aide cependant pas à sabler le champagne et le manque de légèreté de quelques rondeaux (celui des Métamorphoses, notamment) nous fait parfois souhaiter baguette plus insouciante.
Comme l'an dernier à Lausanne, c'est Brigitte Hool qui, pour ses débuts à Marseille, endosse le rôle écrasant, à la fois vocalisant et dramatique, d'Eurydice : sa voix percutante, dense, son chant solide mais sans nuances et sa diction trop couverte nous convainquent davantage en fin de soirée qu'à l'Acte I. Il en va de même pour Loïc Félix, Pluton diablement sexy, tant vocalement que scéniquement, mais qui ne "soutient" pas assez ses couplets initiaux. Côté satisfactions, applaudissons un étincelant Cupidon de vingt-six ans (Chloé Briot) et un Jupiter exemplaire (Francis Dudziak, dont les "bourdonnements" sont cependant doublés par l'orchestre), saluons une Diane (Jennifer Michel) et un John Styx (Yves Coudray) de bon aloi. Les dieux secondaires, en revanche, s'avèrent peu convaincants, l'Orphée de Philippe Talbot bien falot, la plus grande déception étant réservée par l'Opinion publique de Marie-Ange Todorovitch, incompréhensible dès lors qu'elle chante...
Une distribution modeste, donc, qui n'atteint évidemment pas aux sommets de la production Minkowski/Pelly (Lyon, 1997) mais ne décourage nullement un public enthousiaste. Car la cause est entendue : une fin d'année sans Offenbach, c'est comme un "Noël" sans "l" !
Olivier Rouvière
Offenbach : Orphée aux Enfers – Marseille, Opéra, 27 décembre 2013 ; prochaines représentations les 3 et 5 janvier 2014.
Photo © Christian Dresse
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