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Week-end « Turbulences » par l'EIC - Solistes à cache-cache - Compte-rendu
Avec ses trois week-ends « Turbulences » qui ont rythmé la première année du mandat de Matthias Pintscher à la direction musicale, l'Ensemble intercontemporain a bousculé les habitudes et le rituel du concert. Pas de séisme certes, juste la volonté de donner un cadre un peu différent à l'expérience de la création musicale. Le « grand soir », concert-fleuve du samedi, a ainsi vu Pascal Dusapin, en octobre dernier, jouer avec l'espace scénique de la grande salle de la Cité de la musique, puis, en février, Matthias Pintscher inventer une continuité entre les œuvres ainsi qu'entre répertoire et création.
Troisième compositeur invité à proposer ses propres « Turbulences », Bruno Mantovani (photo) avait choisi de questionner la figure du soliste et sa relation avec l'ensemble. La première création de ce week-end, ouvrant le « grand soir » du samedi, était ainsi confiée à un soliste de l'Ensemble intercontemporain : après une interprétation remarquable par Emmanuelle Ophèle de Cassandra's Dream Song de Brian Ferneyhough, pièce majeure du répertoire pour flûte, toujours aussi impressionnante de densité plus de quarante ans après sa création, Gilles Durot donnait la première audition mondiale de Badlands de Raphaël Cendo (né en 1975). L'œuvre souligne, outre l'extraordinaire virtuosité du soliste, l'intelligence des timbres du compositeur, au point peut-être de se livrer à un exercice de styles, comme le souligne l'usage un peu trop systématique d'instruments « préparés » dont les résonances viennent brouiller et saturer une écriture somme toute assez orthodoxe.
Bruno Mantovani dirigeait ensuite la création du Concerto de Johannes Boris Borowski (né en 1979) avec le bassoniste Pascal Gallois en soliste, œuvre pleine d'idées, qui joue sur l'inversion des perspectives du soliste et de l'ensemble – au point que l'on ne sait plus qui des deux accompagne l'autre – ou sur la substitution des rôles (quand le cor anglais prend en charge la conduite mélodique de l'œuvre). Beaucoup d'idées, mais quelques longueurs : le quatrième des cinq mouvements n'apporte guère de transformations avant un finale récapitulatif qui arrive trop tard.
La seconde partie de la soirée proposait au public de déambuler dans les espaces du Musée de la musique ou dans la Rue musicale pour des mini-concerts en petites formations, jouant sur l'idée du double (les deux flûtes de Loops III de Philippe Hurel par Emmanuelle Ophèle et Sophie Cherrier, les deux hautbois des Inventions d'Isang Yun...) ou plus classiquement sur l'équilibre entre jeu soliste et dialogue en musique de chambre (remarquable interprétation des Bagatelles op. 9 pour quatuor de Webern). La soirée se concluait avec Music for 18 instruments de Steve Reich où les interprètes (Ensemble intercontemporain et Synergy Vocals, sans chef) tissent près d'une heure durant une texture sonore enivrante.
Au programme du dimanche après-midi, deux pièces solo de Pierre Boulez et Luciano Berio, Incises pour piano (par Sébastien Vichard) et la Sequenza VII pour hautbois (par Didier Pateau), confrontées à leur développement pour ensemble, sur Incises et Chemins IV (avec Philippe Grauvogel). Premier constat, la qualité des musiciens de l'Ensemble intercontemporain, qui n'usurpe pas son étiquette d' « orchestre de solistes » : le puissant monologue de la Sequenza VII est proprement électrisé par Didier Pateau. Second constat : sous la direction énergique voire violente de Bruno Mantovani, l'interprétation de sur Incises s'émancipe de la vision de son auteur. Exit la rêverie, les résonances trop clairement debussystes, Bruno Mantovani privilégie verticalité et dynamique.
Le temps fort de ce week-end demeure cependant la création de TotalSOLo de Philippe Leroux (né en 1959). Cette œuvre d'un seul souffle pour vingt-huit instruments résume la question de ces « Turbulences » et en magnifie les ambiguïtés :si chaque instrument peut être soliste, l'ensemble lui-même tient ce même rôle. Timbres fondus les uns aux autres, la musique avance dans une totale liberté de conception. Philippe Leroux s'y montre un flamboyant maître de l'orchestration, Bruno Mantovani un chef idéal, le regard porté sur la ligne et sur le détail.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Cité de la musique, les 12 et 13 avril 2014.
Photo © Franck Ferville / Ensemble intercontemporain
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